mercredi 4 novembre 2009

L'armée répond à la judiciarisation

Devant le tour récent pris par les conséquences de l'embuscade d'Uzbeen, l'armée a -enfin- progressé dans sa communication sur l'embuscade, et sur la judiciarisation, qui figure en fond de tableau. Signe que le sujet est pris au sérieux, elle a envoyé sur le front médiatique le n°2 de la DICOD, le général Christian Baptiste. Ce général fut en son temps le porte-parole de deux CEMA (Kelche, Bentegeat) mais est aussi, aujourd'hui, un des rares généraux à être sorti du rang, même s'il n'en fait pas étalage. Si le général a parfois, dans sa défense de la communauté militaire, commis certains excès, promettant à quelques journalistes, dont votre serviteur, un avenir funeste, ce para d'origine -il a débuté au... 8e RPIMa- est un professionnel reconnu de la communication de crise et un connaisseur de l'armée dans ses moindres détails. Et je vous livre sa position, au titre du débat démocratique, même si je n'en partage pas tous les éléments.
Pour toutes ces raisons, son dialogue hier avec Thierry Guerrier s'adresse donc autant à l'opinion publique, qu'à la communauté militaire, qui voit majoritairement, avec effroi, l'irruption de cette judiciarisation croissante dans le champ opérationnel (1).
Et avec d'autant moins de compréhension que la plupart estiment qu'il n'y a pas eu faute à Uzbeen, même si personne ne semble plus ignorer les carences en série qui ont émaillé cette journée cruelle pour nos armées. Le général Baptiste l'a d'ailleurs redit hier : "s'il y avait eu faute, le CEMA aurait sanctionné et puni" a-t-il martelé, d'entrée de jeu. Mais, reconnait-il aussi, l'appréciation de la situation à Uzbeen n'a pas été bonne".
Une phrase qui vient peut être tardivement, et qui aurait peut-être suffi, prononcée plus tôt, à désamorcer le désarroi des familles, pour lesquelles l'armée n'avait manifestement pas trouvé à la fois les mots et le niveau d'information idoines. Une leçon qui, me semble-t-il, n'a d'ailleurs pas totalement été intégrée, quoi qu'on en dise.
En bref, l'absence d'instinct n'est pas un délit... pour autant que ce soit bien le seul sujet en cause.

(1) j'en prends pour preuve les réactions à notre sondage, et les courriers d'incompréhension de la plainte que certains d'entre vous m'ont transmis, tout en reconnaissant les travers rencontrés le 18 août.

Lien vers les 10 minutes d'interview, sur le site de France 5 :
http://www.france5.fr/c-a-dire/index-fr.php?page=emission&id_article=925

Et le teasing écrit de l'émission, que l'on peut trouver sur le site de France 5 :
C’est une première en France. Des familles de militaires français tués lors de l’embuscade d’Uzbin, le 18 août 2008, en Afghanistan, ont décidé de porter plainte contre X pour "mise en danger délibérée de la vie d’autrui". Elles considèrent que la chaîne de commandement dans cette opération a été défaillante. Pour le général Christian Baptiste, porte-parole du ministère de la Défense, "l’appréciation de la situation au regard des résultats" ce jour-là "n’a pas été bonne", mais "s’il y avait eu faute, le chef d’état-major des armées aurait sanctionné et aurait été puni. Il n’y a pas eu sanction". "Il faut savoir", déclare-t-il "que nos soldats, là-bas, ne font pas la guerre, mais ils rencontrent, de temps à autre, des épisodes de guerre extrêmement violents. Il faut savoir que là-bas, pour comprendre la situation, pour avoir une bonne perception, il faut avoir de l’information et du renseignement. C’est ce que, d’ailleurs, faisait cette patrouille, en allant chercher du renseignement. Pour avoir de l’information en Afghanistan, c’est quelque chose de très difficile, parce que l’insurgé est volatil, il est diffus, et il y a un problème de langue."
D’ailleurs concernant ce qui est dit sur l’interprète, "ce sont des rumeurs" et "ce n’est pas très digne pour sa mémoire". Car, "cet interprète, non seulement, n’a pas déserté, mais il a été au combat avec la section de tête et il a été tué pendant les combats", rappelle notre invité. Ensuite, "la zone d’Uzbin, jusqu’à l’embuscade, n’était pas une zone tellement risquée", ajoute-t-il. "C’était une zone qui était dangereuse, comme l’ensemble de l’Afghanistan, mais où la tactique des insurgés était plutôt du harcèlement par petits groupes." L’embuscade du 18 août 2008 à Uzbin "est une rupture du mode d’action de l’ennemi, qui, d’un seul coup, va concentrer ses forces pour pouvoir faire mal et attaquer. Dans ce genre de guerre, il faut être le moins surpris possible et surprendre le plus possible l’ennemi. Ce jour-là, la surprise tactique était du côté des talibans. Mais sur la durée, nous les surprenons beaucoup plus". Aujourd’hui, concernant la requête des parents des soldats tués, "il appartient aux juges de décider si cette plainte est recevable", mais poursuit le général Christian Baptiste, "derrière, il y a le problème de la ’judiciarisation’ de l’action au combat". Car, "pour le chef d’état-major des armées, qui est responsable des opérations devant le chef de l’Etat (...) c’est une question centrale et grave. Il réaffirme qu’il n’y pas et qu’il n’y a jamais eu d’immunité judicaire pour le soldat au combat, mais, lui, pose la question de savoir si le fait de soumettre à l’appréciation d’un juge les techniques et l’art militaire n’induit pas un risque très fort d’inhiber et de désincarner nos forces. Un risque de paralyser nos jeunes chefs au combat, ce qui rendrait le combat encore plus difficile. Parce que si à chaque fois que vous donnez un ordre, vous vous dites : ’Dans dix mois, douze mois, cela va passer au tamis d’un juge qui va essayer de juger mon appréciation de la situation’, cela amène de la paralysie et cela pourra, au final, rendre le combat plus dangereux". "Charles de Gaulle disait : ’Dans l’action au final, dans la guerre, tout n’est qu’intelligence et instinct’. Et bien, vous en avez un peu ou beaucoup, mais cela ne peut pas se punir. En revanche, ce qui peut se punir, c’est quand vous ne respectez pas un règlement, une loi, une règle d’engagement. Les règlements n’ont pas été transgressés. Après, c’est une histoire de feeling, de sentir la situation. Et un ennemi, quand il fait une rupture totale par rapport à son mode d’action, il vous surprend", conclut notre invité.