C'est un livre peu commun qu'a commis le colonel Renaud Senetaire, l'ancien chef de corps du 1er RCP, et patron de la TF Raptor (1). Cette task force parachutiste a connu un bilan très lourd (10 morts, une soixantaine de blessés), et l'ouvrage en livre la réalité souvent crue, revenant sur la plupart des conditions dans lesquelles elle a perdu ses hommes.
Ce livre, que je viens de finir, me semble tomber à pic, tant l'Afghanistan a disparu des écrans-radar.
A plusieurs reprises, l'évocation du courage ordinaire, parfois à la limite de l'absurde, permet de mieux comprendre les ressorts moraux de ces 900 Français plongés dans la poudrière de Kapisa. On passe du raid blindé du 1er RHP, au balisage d'une DZ sous le feu par un capitaine (!?) et à l'action décisive d'une escouade de commandos marine surgie de nulle part pour protéger l'évacuation de blessés au pire endroit de la zone verte.
Un peu déstabilisant au début, le livre hésite souvent entre plusieurs genres, entre les lettres persanes de Montesquieu -l'angle initial est le regard d'un officier de liaison américain inséré au sein de Raptor-, le pur roman -tous les personnages, sauf ceux qui vont mourrir, ont un pseudo- et le journal de marche. Mais le résultat fonctionne plutôt bien et évite le jargon habituel, ou le discours moralisateur ou larmoyant.
Quoique je n'ai pas eu l'opportunité de le cotoyer (2) en Afghanistan, l'auteur ne me semble éluder aucun sujet, y compris ceux qu'on évite en général d'aborder : des doutes et l'amertume de ses personnels, aux vols bleus, en passant par la volonté de vengeance des morts, les erreurs tactiques, et même l'incompréhension des politiques parisiens.
Presqu'aucun détail ne manque à ce tableau impressioniste, des "formes rebondies" de l'officier du Sirpa Terre -ou de la caméra qui ne fonctionne pas au plus fort des combats...-, aux phraséologies avec la chasse américaine : on s'y croirait.
Même le chef des insurgés de Tagab bénéficie des dialogues reconstitués -et assez vraisembables- avec ses accolytes.
Personne n'est donc oublié. Même la contrôleuse tactique air, une capitaine, a droit à une vraie mention d'estime du chef de Raptor (3). Quelques petites erreurs sans trop de gravité sur les objets volants -les VAM sont faites en A340, ne disposent pas "d'hôtesses de l'air" et il n'y a jamais eu de Puma de l'ALAT sur place...-, mais le reste est passionnant.
L'auteur le rappelle, revenus en France, ses hommes ont eu du mal à intéresser à leur mandat : cet ouvrage l'illustre, bien des livres restent encore à écrire.
(1) Les aigles dans la vallée, Editions Mélibée, 18 EUR.
(2) L'accès des journalistes à la Kapisa avait été à nouveau limité par l'Elysée après les blessures reçues par une équipe de TF1. Cela m'avait donné l'occasion de mieux connaître les Diables Rouges du 152e RI qui opéraient plus au sud, avec autant de mérites.
(3) Qu'elle mérite, cette aviatrice détenant un tableau de chasse impressionnant. Pour sa propre sécurité, je n'évoquerai pas son unité, bien connue pour son sérieux.