Après un premier livre qui avait fait sensation, voici un deuxième, d'un genre un peu différent, mais au résultat identique, sur les femmes officiers com' dans les armées. Son contenu bénéficie de plusieurs marques de sérieux : écrit dans une maison d'édition respectable (L'Harmattan), par une civile qui a exercé douze ans comme chef de l'antenne de Toulouse du Sirpa Terre, et avec des témoignages uniquement cueillis parmi les professionnelles.
Le résultat, quoiqu'écrit sans haine, est assez violent pour le système, dont le manque de discernement et la pingrerie sont très largement illustrés par des exemples longuement détaillés. Certes, les prénoms ont été changés, les noms d'unité ne sont pas explicitement cités, mais je crois avoir reconnu à peu près tout le monde. Un livre assez raccord avec l'actu, dans une période de malaise sans précédent, et alors que la filière connaît son énième double audit (l'un conduit par le
contrôle général des armées, l'autre par un cabinet d'audit extérieur).
Ce livre écrit de l'intérieur livre un tableau impressionniste de la filière com dans l'armée de terre, mais livre aussi son écot sur la
DICOD, dont les stages de formation sont jugés inadaptés (ce n'est pas la première fois que je l'entends). Paris en prend régulièrement pour son grade, avec cette phrase assassine : "la chaîne communication se préoccupe plus de sauver des postes d'officiers à Paris (la guerre entre la DICOD et les Sirpa voués à disparaître au profit d'une communication plus interarmées, préoccupe plus les cadres de la chaîne communication que la carrière ou l'emploi des lieutenants OCI).
L'ouvrage décrit des jeunes officiers "Shiva" qui doivent tenir plusieurs postes, dont les contours sont souvent, de fait, mal définis, quand ils le sont, même.Plusieurs restitutions de discussions entre offcom et officiers supérieurs sont assez savoureuses. Le livre propose plusieurs solutions pour sortir de cette solution de blocage, mais son auteure ne semble pas en avoir parlé forcément avec un très large spectre de journalistes, qui me semblent les grands oubliés de ce livre, alors qu'ils sont, finalement, les premiers consommateurs du service.
Le livre me semble aussi plus faible sur les anecdotes de la com en opex, même si on évoque des chefs PIO ne parlant pas anglais, ou des décisions ayant mis en danger la vie des offcom et des journalistes qui les accompagnaient. On aurait pu s'attendre à quelques détails sur l'embed emblématique des deux journalistes de France 3, mais rien dans ce livre sur cet épisode moderne qui a marqué les esprits de la communauté des offcoms. L'Afghanistan a aussi contribué à aguerrir ces officiers souvent jeunes à qui la hiérarchie n'a pas donné toute sa confiance : plus de témoignages auraient donc pu éclairer la réalité de l'engagement de ces combattants de la chaîne com' (rappelons que l'un d'eux, photographe dans l'armée de terre, en est mort, en Afghanistan).
Le livre pêche encore dans sa description du milieu. Qu'y a-t-il de commun, sinon le titre, entre le capitaine-offcom de ce régiment de Légion, issu du système Légion et vétéran d'Afghanistan comme OMLT, et le jeune frais émoulu de l'école ? Car il y a plusieurs familles d'offcom, et le livre ne le précise pas vraiment. Il ne rappelle pas non plus qu'il y a quelques années, le CEMAT de l'époque s'était fendu d'une note toutes unités pour demander qu'on puisse mieux gérer cette population pour trouver les 25 offcom nécessaires chaque année aux théâtres d'opération. Ce blog avait décrit à l'époque les raisons de cette carence, en révélant également la note rageuse du général
Irastorza.
Rien non plus sur l'impact des médias sociaux sur le quotidien de ces OCI, ce qui peut étonner.
Enfin, la récurrence d'évocation des régiments para qui peut être ressentie comme une stigmatisation m'a gêné (1). L'intégration des jeunes femmes est aussi difficile dans d'autres régiments, dans d'autres armées, et l'actu malienne nous le rappelle, les paras ont d'autres qualités. Peut-être qu'à une époque, les recrutements n'ont pas été toujours judicieux non plus, et n'ont pas permis les épanouissements des un(e)s alors qu'ils auraient été possibles ailleurs. Et je constate que plusieurs offcom masculins ou féminines qu'il m'a été donné de rencontrer dans ces unités, y compris en opex, s'y sont aussi épanoui(e)s.
Malgré ces défauts, je recommande néanmoins la lecture de ce livre aux étudiants d'école de com, mais aussi aux offcom eux-mêmes, ainsi qu'aux militaires, souvent prompts à tirer à boulets rouges sur leurs communicants. Quelques éléments leur permettront de mieux comprendre les tenants et les aboutissants, et donc, de mesurer pourquoi la relation aux médias est finalement si complexe. Et que la faute n'en revient pas forcément à ces fusibles faciles.
(1) l'auteure était plus naturellement en contact avec ces unités, vu son affectation à Toulouse.
Femmes officiers de communication dans l'armée de Terre, le parcours des combattantes, par Marianne Guillemin, Ed L'Harmattan.
(par souci de clarification, notamment pour quelques internautes spécialistes des procès en sorcellerie, je n'ai aucun lien de parenté avec la madame Tanguy évoquée en fin d'ouvrage).