22 heures, le 14 août 1944. Les commandos d'Afrique montent dans leurs LCA. Presque trois heures de mer avant de rejoindre leur objectif : le Cap Nègre, où les Allemands ont disposé trois canons de 155 mm -en fait deux, au final- qui battent les plages où l'opération Dragoon va débarquer, dans quelques heures, des milliers de soldats, principalement américains, pour ouvrir un deuxième front en France. Tout le monde connaît la Pointe du Hoc, mais jusqu'il y a peu, le Cap Nègre n'était pas passé à la postérité. Le Cap Nègre n'a rien à lui envier : 100 mètres de falaise, des nids de mitrailleuses, et des lance-flammes automatiques.
La quasi-totalité du commando, soit 700 hommes, est mobilisée en avant-garde pour une série d'actions, et c'est le 1er commando du capitaine Paul Ducournau (1) quelques uns ont été chargés de prendre la batterie.
C'est une vedette canadienne qui indique le cap des LCA : elle se trompe de deux degrés, qui vont metre une pagaille incommensurable sur les plages.
Le commando français Marcel Rigaud, un capitaine (2), et l'enseigne de vaisseau Johnson, de la Royal Navy sont les premiers à débarquer, pour guider depuis la côte la flottille de LCA.
Rigaud, secoué de quintes intempestives, a été retenu car connaissant le mieux l'endroit : avant-guerre, il y passait ses... vacances. Il touche Le Rayol (Var), à 00h30, après avoir compris l'erreur de navigation induite par les Canadiens.
Le capitaine Paul Ducournau (2) et 34 hommes vont prendre le Cap Nègre. C'est un membre du club alpin d'Alger, le sergent Daboussy, qui ouvre la voie d'une ascension verticale de 100 mètres sur la falaise. A 1h45, au prix d'un bref combat, le Cap Nègre est pris. Ducournau enregistre deux blessés seulement.
Le premier mort du débarquement de Provence est tombé à quelques centaines de mètres de là : le sergent Noël Texier est mort d'une balle allemande, alors qu'il tentait de progresser par le chemin des douaniers qui ceinture le cap Nègre. Il devait normalement débarquer sur la plage du Rayol.
Quelques rappels historiques brefs ne sont pas inutiles pour situer le groupe des commandos d'Afrique, créé par le Lieutenant-colonel Bouvet, nom de code "Soleil", ancien du corps franc d'Afrique (CFA), premier à entrer dans Bizerte. Une partie du CFA alimentera le régiment de marche du Tchad qui constituera le fer de lance de la 2e DB. L'autre sera formé en commando par Bouvet, et s'attaquera à l'Ile d'Elbe, avant le débarquement de Provence. C'est l'un de ses hommes qui permettra d'obtenir un renseignement précieux, en opérant plusieurs semaines dans l'île italienne. Les commandos seront ensuite en pointe sur les combats autour de Belfort, en décembre 1944, avant de devenir 3e groupement de choc.
Pour saisir l'épopoée des ces combattants peu conformes, je recommande la lecture de l'ouvrage de Commandos d'Afrique, de l'Ile d'Elbe au Danube, de Patrick de Gmeline (Presses de la Cité, 1980) à qui l'on doit un ouvrage plus récent sur Tom Morel, le héros des Glières, et vraisemblablement, un autre sur l'engagement du 27e BCA en Kapisa.
(1) Lieutenant en 1939 au 15e tirailleurs algériens, Paul Ducournau fut promu commandant du 3e groupement de bataillons de Choc, en septembrre 1945, et devint numéro deux du 1er régiment d'infanterie de choc aéroportée (RICAP) puis le para émérité qu'on connaît au 3e BPC, avant de commander notamment la 25e DAP, en Algérie. Il est mort en 1985.
(2) Marcel Rigaud est directeur chez Hispano-Suiza, avant-guerre, et était un vétéran de 14-18, évadé de France en 1942.