Tout le monde sur le pont en même temps
Avant Uzbeen, on pouvait envisager, au Batfra, mener une patrouille d'une vingtaine de véhicules, sans mobiliser le moindre appui, dans une vallée (presque) inconnue. Après Uzbeen, tout change. Il ne reste plus que des opérations de grande ampleur, avec une importante planification, fondée sur un renseignement multispectre. Pour concentrer les efforts, ces opérations comportent tous les volets tactiques en même temps, du contrôle de zone à la CIMIC (action civilo-militaire), en passant par la MEDCAP (actions médicales au profit de la population) et l'incontournable shoura (assemblée), que le 3e RPIMa va systématiser, avec succès. Tout cela après avoir pris les hauts, s'il y en a. Et avoir réservé les nécessaires appuis aériens.
Des appuis enrichis et diversifiés
Dans le dernier Béret Rouge, les paras du 3e RPIMa expliquent justement le processus, long, parfois lourd, mais redoutablement efficace que génère "l'Air Assault" à l'américaine. L'aéromobilité est le seul moyen simple de la surprise tactique des éléments terrestres, en Afghanistan : il n'y en a tout simplement pas d'autre, et dans le cadre afghan, cela n'est possible qu'avec des hélicoptères (toujours rares) ou des largages parachutistes (curieusement pas utilisés, peut-être le jour où les hélicoptères ne voleront plus...).
Uzbeen va aussi renforcer le catalogue du Batfra, qui devient alors un GTIA avec tous ses appuis au complet. Ce que, depuis un mois, alors, la TF "Chimère", en Kapisa, a pu générer avec les Américains, grâce à une intégration très forte. Les Power point des actions du Batfra vont voir apparaître des appuis artillerie (Mo 120) et rens (drones SDTI) pour le versant national, et des hélicoptères et chasseurs... américains pour le volet appui feu et transport. Un commandant de GTIA dispose désormais d'un catalogue de capteurs et d'effecteurs réservé jusqu'alors réservé au niveau supérieur.
Les munes
Avant Uzbeen, on n'emportait que les munitions prévues par les consignes, les stocks, et... la guerre que l'on avait en face de soi. L'embuscade, qui dure plusieurs heures, sans ravitaillement possible, les chargeurs emportés par les paras, quel qu'ait été leur nombre -les témoignages divergent- ont vite jonché le sol. Les munitions ont-elles manqué ? Evidemment ! Rien que par le ciel, on en charriera 3,3 tonnes, sans compter, évidemment, ce qu'on amène par la route. Et ce que les Américains de la colonne ont donné à leurs frères d'armes : des caisses de .50, pour les 12,7 mm, le... seul calibre qui était compatible entre les deux forces. Après Uzbeen, le fantassin peut théoriquement emporter toutes les munes qu'il souhaite, enfin qu'il peut porter. La difficulté rester de trouver des chargeurs, qui eux, restent toujours aussi rares. Le fabriquant d'équipement qui en aurait vendu, à l'automne 2008, aurait fait fortune. Corollaire de cet enseignement, la double dotation est officiellement décrétée, au printemps. Pour cela, on récupère des PAMASG1 dont les gendarmes ne voulaient plus, et des hoslters, que l'on achète en crash programs. La double dotation, à l'origine développée par les forces spéciales, était déjà pratiquée, en Afghanistan, au sein des OMLT infanterie.
Le JTAC, incontournable
Ce jour-là, on prend aussi conscience de la nécessité d'avoir une capacité de guidage des appuis, incarnée notamment, en Afghanistan, par le JTAC, qu'on aurait pu appeler Jupiter, car lui seul peut déclencher la foudre de l'appui-feu. Le JTAC américain d'Uzbeen n'était pas en mesure de le faire, car il était en formation : c'est le député Pierre Lellouche qui l'avait révélé, dès l'automne. Le 18 août 2008, au moins deux JTAC français différents, qualifiés, auraient pu accompagner la colonne.
Depuis cet été, l'armée de Terre refond sa filière de ciblage, qui doit précisément amener à renforcer le nombre de spécialistes de la gestion des appuis. Cette refonte, fondée sur des détachement de liaison, d'observation et de coordination (DLOC) doit combler une vieille lacune, et la réforme était engagée avant Uzbeen. Qui l'a sans doute accélérée. Les premiers membres des DLOC étaient en mai-juin au Luc pour se former au guidage des hélicoptères d'appui-feu, notamment du Tigre.
Uzbeen, on le voit a profondément modifié les couches de l'action, en Afghanistan. Révolutionnant parfois, mais en fait, renouvelant surtout les modes opératoires, et accélérant l'envoi de capacités qui auraient pu être injectées plus tôt.
Les exemples ne manquent pas, tous n'ont pas vocation à se trouver sur internet.
Dès 2003, des reconnaissances avaient été effectuées à Kaboul pour déployer les drones SDTI. Ils ne sont arrivés finalement qu'en octobre 2008, un mois et demi après Uzbeen.
Dès décembre 2006, l'envoi d'un 3e Caracal avait été envisagé dans les mois suivants (on réceptionnait alors les 5e et 6e Caracal Air) car c'était la garantie absolue de pouvoir en déployer deux à tout moment. Par chance, le dieu des choumacs était de sortie le 18 août 2008, permettant aux deux seuls hélicoptères capables de voler de nuit de le faire. Le 3e Caracal est arrivé, en octobre, moins de deux mois plus tard.
Dès 2007, le minidrone DRAC aurait dû être déclaré bon pour le service. Il n'est toujours pas déployé en Afghanistan.
(A SUIVRE.)