jeudi 29 octobre 2009

Uzbeen : plainte contre X

Le Parisien le revèle ce matin : Me Gilbert Collard entend déposer plainte contre X, lundi prochain, afin de faire toute la vérité sur les responsabilités dans l'embuscade d'Uzbeen. Et particulièrement en ce qui concerne, on s'en doute, d'éventuelles responsabilités dans le chaîne de commandement. Puisque si l'on en croit plusieurs déclarations, notamment du CEMA, les auteurs de l'embuscade ont tous été tués par la suite.
Me Collard agit à la demande de la famille Le Pahun, qui avait perdu son fils, Julien, 20 ans, parachutiste au 8e RPIMa (1). Et de la famille de Rodolphe Penon (2e REP), dont la conduite héroïque d'infirmier est encore montrée en exemple.
Faute d'avoir sans doute eu les réponses à leurs questions, ces familles ont donc sorti le dernier recours : celui de la justice.
Très tôt, la famille Le Pahun avait fait part, avec grande dignité, de ses doutes sur les circonstances de la mort de neuf soldats dans le col d'Uzbeen.
L'instruction s'annonce difficile, le recours au secret-défense étant la première barrière, la plus évidente. Les opérations continuent, en Afghanistan, et on aura beau jeu de se réfugier derrière le secret-défense pour éviter de répondre aux questions précises.
De la même façon, tous les survivants ont été enjoints de ne plus s'exprimer sur le sujet. Il avait déjà été étonnant que quelques uns puissent le faire, à l'époque.
Pourtant, dès le départ, le plus haut niveau de l'Etat avait promis vérité et leçons tirées. Les deux familles ont bien tenu à préciser qu'elles ne visaient ni le chef des armées, ni le CEMA, ni l'armée, mais entendent donc obtenir la première.
Et ciblent bel et bien le niveau de responsabilité localisé en Afghanistan, à commencer, sans doute, par le général, qui avoua, à l'AFP, un "excès de confiance". Aveu courageux, à un tel niveau de responsabilité, mais qui risque bien de constituer une des premières brèches dans laquelles d'infiltera Me Collard, dont le mordant à la barre est bien connu.
Evidemment, une telle annonce génère plusieurs risques, pour l'armée. D'abord de voir d'autres familles rejoindre la procédure. Ensuite, de voir relancées, en fait lancées, des investigations réelles de la presse. Jusqu'alors, la vérité n'est pas vraiment sortie des anathèmes ou des contre-feux : pour avoir voulu trouver rapidement des explications, le rouleau compresseur médiatique est passé assez vite sur l'écheveau de responsabilités qu'entend démêler la plainte de Me Collard. Même autour du 18 août 2009, les rares sujets consacrés à l'embuscade étaient concentrés sur le règlement des carences de matériel (2), une façon d'évacuer toute autre forme de questionnement. On le voit, pourtant, des éléments s'affermissent : le livre de Frédéric Pons consacré au 8e RPIMa évoque justement les déficits qui fondent la future plainte : le mutisme incompréhensible des mortiers par exemple.

Le + du Mamouth :
Cette plainte constitue également une première puisque des militaires, vraisemblablement essentiellement des officiers, vont devoir s'expliquer sur les motivations de leurs décisions, de leurs absences, à la guerre. Certes, on avait bien vu un tel défilé pour l'affaire Mahé, par exemple. Mais à l'époque, le mort était ivoirien.
Expliquer des décisions à Paris, bien loin du contexte, risque aussi, évidemment, de ne pas jouer en la faveur de ceux qui les ont prises.
On peut s'attendre aussi à un niveau de médiatisation inédit, dans la mesure où, ce n'est plus un scoop, l'opinion publique est majoritairement opposée à l'engagement en Afghanistan.
Alors que le ministère prévoyait de plancher ce matin sur un fait divers -les affabulations concernant l'avion perdu au large des Comores cet été-, il va vraisemblablement se retrouver ce matin avec la foule des grands jours, au point presse hebdomadaire. L'embuscade d'Uzbeen avait été une source intaraissable d'articles rangés à la rubrique fait divers, il y a un an, mais faute d'avoir véritablement exploré la veine, elle sera désormais -aussi- à ranger au chapitre de la chronique judiciaire. De quoi creuser encore le fossé entre la société civile et la communauté militaire.

(1) rappel qui n'est pas inutile, Carmin 2 était rattaché au Batfra, armé à l'époque et pour quelques jours encore par le RMT. Le 3e RPIMa arriva 15 jours plus tard. Par conséquent, le chef de corps du 8e RPIMa, par ailleurs patron de la TF Tigre en Kapisa, n'avait aucun contrôle sur cette compagnie, qui avait été formée à l'origine, comme les trois autres, pour opérer au sein de la strategic reserve force (SRF) de l'OTAN, dans un format nettement plus riche.
(2) par l'arrivée du Caesar, du Tigre, etc. Rappelons également que le projet d'une mission d'information sur l'embuscade d'Uzbeen avait finalement été abandonné par la commission de défense de l'assemblée nationale.

Pour aller plus loin, les articles consacrés à l'embuscade, sur ce blog :
http://lemamouth.blogspot.com/search/label/Uzbeen