samedi 26 décembre 2009

L'Airbus de Marignane : à 17h12, l'assaut...

Comment arrive-t-on à l’assaut ? (1)

Roland Montins, chef de la première alerte. - On avait décidé d’intervenir à 17h30 mais à 17h08, ils tirent sur la tour donc on a précipité notre assaut qui va durer 16 minutes. 16 minutes de guerre, pendant lesquelles 1.000 à 1.500 coups vont être tirés de part et d’autres.

Quel le moment le plus fort ?

Avant cet assaut, justement nous sommes à 800 mètres de l’avion, il est 17 heures. Nous étions 11 dans mon groupe. On se serre les mains, ce qu’on ne faisait jamais d’habitude. On se regarde. On n’est pas fiers car on sait qu’on va se faire descendre. Mais il y a cet effet du groupe. Même si on a la boule au ventre, on y va, parce qu’il y a les otages à sauver. C’est comme à la boxe, le plus dur, c’est d’arriver jusqu’au ring, ensuite, tout va de soi.

Qu’est ce qui fait la différence, ce jour-là ?

C’est un état d’esprit. Quand vous êtes au GIGN, vous avez une liberté totale dans la gestion de votre entraînement individuel. Vous êtes frais toute l’année et pas pressé comme un citron. On travaille la qualité. Quand vous êtes rentrés correctement dans l’avion trois fois à l’entraînement, pas besoin de le refaire 5, 6, 7 fois… L’équipage est venu nous voir à l’hôpital, trois jours après l’assaut. Il nous ont demandé comment on avait fait pour réussir. Moi, à l’époque, cela faisait 12 ans que j’étais au Groupe, 12 ans que je m’entraînais pour une opération de ce type. On ne peut pas la souhaiter, évidemment, mais inconsciemment, on l’attend, donc on est prêts, quand elle arrive. Ce n’est pas la chance qui nous fait gagner. La chance, cela n’existe pas. Si cela devait exister, ce serait la forme la plus élaborée et la plus aboutie de la compétence. Cet assaut avait été minutieusement préparé avec l’autre chef de groupe, Philippe. Tous les mois on s’entraînait sur avion, à Orly. On s’est retrouvés comme à l’entraînement, sauf que l’on est entrés à 30, et on est ressortis à 22. On a enlevé nos casques. Un de nous a sorti un paquet de clopes, il devait en rester trois ou quatre. On s’est mis en cercle, et on a tiré quelques taffes, en regardant l’avion quelques secondes.

A quoi ressemblait le Roland de 1994 ?

J’étais une bête de combat, 1,76m pour 85 kg tout en muscles. Un peu comme Thierry L…

Qui faisait partie de votre groupe, et qui sera blessé à Marignane, comme vous…

Il est juste devant moi quand on rentre. Il sera blessé au bout de 2 minutes, moi de 7. Je me suis retrouvé à plat dos entre deux sièges. Un terroriste, qui avait déjà été blessé par Thierry P., en rejoignait un autre. Je lui ai tiré en dessous de l’épaule… Ce jour-là, c’est Thierry P. qui est entré le premier, et il a fait un travail formidable. Il s’est fait tirer dessus immédiatement. Il a tiré une balle en pleine tête sur un premier terroriste dans le cockpit, a encore tiré sur un deuxième. Les balles qu’il a reçues l’ont fait tomber à l’extérieur du cockpit. En rentrant dans le cockpit, il avait focalisé l’attention des quatre terroristes qui y étaient, ce qui a permis à son groupe de rentrer dans l’avion, et de s’interposer entre les otages et le tir des terroristes. L’évacuation des otages s’est faite en quatre minutes, presque tranquillement, comparé à ce qui pouvait se passer dans l’avion à ce moment-là. '

Sort-on intact mentalement d’une telle opération ?

C’est un peu le paradoxe : on a vécu 16 minutes d’une intensité extraordinaire, et puis la presse, les réceptions, tout ce qui a suivi a annihilé l’aspect traumatisant. Quelque part, tout ce la nous a servi de thérapie. Je le redis, le plus difficile c’est bien de monter dans l’avion. A ce moment-là, le cœur bat à 180. Quand je me suis retrouvé sur le dos, à me faire tirer dessus, je suis à 60. Mais même après l’assaut, on ne s’est pas relâchés. A l’hôpital, j’étais dans la chambre avec Thierry P. et un général et soudain on a entendu une rafale. Tout en dégainant mon Manhurin, je dis à Thierry : « t’inquiète pas, s’ils arrivent je les allume ! ». Le général était entre nos deux lits, et en fait de terroristes, on a vu arriver les infirmières. Elles n’ont pas été contentes que l’on ait gardé nos armes ; le lendemain, on a dû les laisser. Thierry, qui avait reçu six balles dans le coffre me dit alors « qu’est ce qu’on va faire s’ils viennent pour de bon ? » Et là, je lui ai soulevé mon matelas, et je lui ai montré le P228 que j’avais gardé en douce… (rires)
(1) recueilli en mai 2007.

Voilà ce que me disait « Sam », quant à lui, en 2004 :

« A 17 heures, on entend les coups de feu. On voit arriver les passerelles avec nos équipes qui investissent l’avion. Au début, on ne tire pas. J’étais très serein : cette sérénité vient de notre entraînement, et quand c’est le jour J, ça ne change pas. Il y a eu un accrochage tout de suite à l’intérieur de l’avion. Mais nos copains sont dans la place, et on ne peut pas prendre le risque de blesser, voire de tuer un otage dont les terroristes se serviraient comme bouclier. Le commandant Favier est à l’intérieur : il rapporte à la radio qu’il est bloqué au niveau du cockpit. On voit le mécanicien de l’Airbus sauter par une fenêtre, côté droit. Quand on voit un terroriste dans le cockpit, on a le droit de tirer. On voit les blessés évacués tout doucement, une fois que l’action est terminée. Mais on se connaît tellement bien qu’on voit qui a été blessé, même s’il a encore la cagoule sur la tête. C’est une des missions les plus dures auxquelles j’ai participé. Mais je ne vis pas dans le passé. Et on ne peut pas restés figés sur une mission."

Que sont-ils devenus ?

15 ans après, Denis Favier et "Sam" sont toujours au GIGN ("Sam" ne l'a même jamais quitté...). Tous les deux ont été tarponnés, ensemble, en avril 2008, en océan Indien, lors de la prise d'otages du Ponant. Thierry L., est toujours une des figures du groupe. Olivier K., lui, a participé à la mise sur pied du bureau de lutte antiterroriste (BLAT) de la DGGN, avant de partir pour une autre affectation, en province. "Lee" est toujours à l'affût des derniers matériels. Je l'ai croisé, à Milipol, en train de chercher la perle rare, sur les stands... Roland Montins a quant à lui quitté le groupe, puis la gendarmerie. En mai 2007, il a publié avec Gilles Cauture, ancien gendarme comme lui, L'Assaut. Il rappelle, dans la préface, que deux vétérans de Marignane étaient morts tragiquement, dans un accident de plongée, deux ans plus tard : il s'agit d'Eric Arlecchini et Antonio Capoccello.
Les 173 otages ont quant à eux repris une vie normale, ou tenté de le faire.

Des compléments vidéo ici :
http://video.google.fr/videoplay?docid=174508087643279197#

Symptomatique... :
Malgré l 'actu terroriste du jour sur le Amsterdam-Détroit, les 15 ans de Marignane passent complètement inaperçus sur les grands média aujourd'hui et dans les explications des experts conviés pour décrypter. Les seuls anniversaires commémorés sont la tempête de 1999 et le tsunami....