70 ans après la création du BCRA, la succession, incarnée par le DGSE et les représentants des différentes composantes du service ont rendu hommage aux vétérans (photo : DGSE)
Voici le discours du DGSE, Erard Corbin de Mangoux, prononcé cet après-midi aux Invalides, à l'occasion des 70 ans de la création du BCRA.
"Nous voici réunis dans la cour d'honneur de l'hôtel national des Invalides, pour célébrer, dans des conditions particulières, un moment très particulier, celui de la création, il y a exactement 70 ans, du BCRA, le Bureau Central de Renseignements et d'Action.
Le 18 juin 1940, sur les ondes de la BBC, le général de Gaulle appelait les Français à refuser la défaite et à poursuivre le combat avec lui, depuis le Royaume-Uni, au sein des Forces Françaises Libres.
Rejoint par des volontaires, parfois très jeunes et souvent inexpérimentés, le général de Gaulle jetait les bases d'une alternative au régime de Vichy. La France Libre était née.
Durant quatre ans, l'homme du 18 juin su créer depuis Londres des institutions, un mode de gouvernement et mener des actions qui ont permis à la France de retrouver son rang en recevant aux côtés des Alliés la capitulation de l'Allemagne nazie.
A l'heure où les témoins de cette époque se font plus rares, cet anniversaire est l'occasion de rendre solennellement hommage aux résistants, ceux de Londres, et plus particulièrement aux hommes de l'ombre, ceux du BCRA, dont certains sont avec nous ce soir. Et je les remercie chaleureusement de leur présence.
La DGSE tient à rendre hommage à ceux qui n'ont jamais cessé de croire en la France et qui lui ont rendu son honneur.
La DGSE, héritière du BCRA, est aussi aujourd'hui l'héritière des valeurs qu'il a défendues et pour lequel il a combattu. Il ne peut y avoir, dans une démocratie, des Services Spéciaux qui ne soient encadrés et portés par les valeurs de la République.
Il est du devoir de la DGSE de participer à la mission de transmission de la mémoire aux jeunes générations afin qu'elles n'oublient pas le sacrifice et l'engagement de ces hommes, partis de rien, qui ont lutté pour notre liberté.
Le drapeau du 44e RI a été décoré de la croix de la valeur militaire (photo : DGSE).
Comme vous le savez, les services spéciaux de la France Libre, dont la mémoire collective a retenu le nom de BCRA, sont nés à Londres dès le 1er juillet 1940.
Le général de Gaulle conçoit rapidement de mettre sur pied un état-major classique en créant notamment un deuxième bureau chargé des questions de renseignement.
Le 12 avril 1941, le 2ème bureau change de nom et devient le SR.
L'extension progressive des activités du SR conduit à un nouveau changement de nom. Le 17 janvier 1942, le SR laisse la place au Bureau Central de Renseignements et d'Action Militaire, qui prendra un peu plus tard le nom de BCRA, nom sous lequel il s'imposera définitivement dans les mémoires.
Le BCRA est une entité centralisée, intégrée, chargée non seulement des activités de renseignement, mais de toutes les activités clandestines menées en France au nom de la France Libre.
Les sections renseignement et action sont les seules à monter des missions en France. Elles recueillent le renseignement et le diffusent à des destinataires de la France Libre, mais également au partenaire britannique.
En effet, pour l'Intelligence Service britannique comme pour le service du colonel Passy, la coopération est une évidence.
Pour satisfaire au besoin en renseignement du Premier ministre britannique, l'Intelligence Service a comme recours de s'appuyer sur le BCRA. Pour sa part, le BCRA obtient du partenaire britannique les moyens nécessaires à la projection de ses agents en France.
Ce sont les services britanniques qui prennent en charge la formation des agents, la fourniture des moyens de transmission tout comme le transport. Il n'est pas inutile de le rappeler. Et pour cela, l'Intelligence Service doit être remercié. Il demeure aujourd'hui encore, l'un de nos plus fidèles partenaires.
C'est toute une époque : les messages énigmatiques de la BBC, les parachutages et les vols de nuit à bord des mythiques Lysander pour réaliser des pick-up au clair de lune.
Ce sont ces opérateurs radio, hautement spécialisés, capables de mener un trafic radio intense et chiffré en changeant souvent de lieux d'émission pour tromper les dispositifs gonio de l'ennemi.
Ce sont tous ces innombrables volontaires qui, au péril de leur vie, ont hébergé les hommes et les femmes du BCRA, ont autorisé les émissions radio depuis leurs domiciles, ont caché les matériels et ont rendu mille autre services.
A l'été 1940, les militaires et les civils français qui se trouvent en Grande-Bretagne arrivent dans le désordre. Pour tous ces hommes comme pour toute l'infrastructure des services indispensables, il faut rapidement trouver un hébergement.
Le BCRA s'installe tout d?abord dans des locaux étroits à Saint-James Square, puis il emménage au 10 Duke Street.
L'immeuble est toujours debout. Je souhaite vivement, avec le soutien des autorités britanniques, qu'une plaque commémorative puisse y être apposée prochainement, afin que le passant se souvienne qu'en ces lieux, battait le coeur du BCRA.
Pour beaucoup des volontaires français, le ralliement à un chef militaire témoigne d'une volonté de participer à la lutte armée contre l'ennemi. L'action clandestine ne s'intègre pas nécessairement à leur schéma de pensée. Progressivement pourtant, elle s'impose à leurs yeux comme un mode efficace de lutte contre l'ennemi.
L'effectif du BCRA est réduit, mais tellement riche de personnalités et tellement représentatif de la diversité de notre pays.
Comment ne pas être admiratif devant les personnalités qui s'y sont distinguées.
Je pense tout d'abord à André Dewavrin, dit colonel Passy. Polytechnicien de formation, il est à peine âgé de 29 ans lorsque le général de Gaulle lui confie la mission d'organiser et de diriger le service de renseignement de la France Libre, au départ sans moyens financiers, ni moyens de communications. Peu familier des questions de renseignement, il deviendra pourtant le chef incontesté du BCRA.
Il poursuivra sa carrière d?agent secret après la guerre, à la tête de la DGER (la direction générale des Etudes et Recherches) puis du SDECE.
Un mot également pour André Manuel, fidèle adjoint du colonel Passy, numéro deux efficace et respecté, homme droit et ferme, chef de la section Renseignement du BCRA.
Erard Corbin de Mangoux, DGSE et son directeur de cabinet, le général Frédéric Beth, ancien patron du COS, entouraient le mindef cet après-midi. (crédit : DGSE).
Il faudrait tous les citer, mais retenons encore les noms de Pierre Brossolette, chef de la section opération ; de Roger Wybot, chef de la section contre espionnage, organisateur de talent qui, à la Libération, se verra confier la mission de créer puis de diriger la DST ; de Louis Vallon, chef de la section non-militaire, de son adjoint, Jacques Bingen, de Maurice Duclos, chef de la section action, études et coordination, de Bruno Lagier, de Tony Mella, de Jacques Soustelle.
Je voudrais encore mentionner les noms de Pierre Fourcaud et d'Honoré d'Estienne d'Orves.
J'ai également une pensée toute particulière pour Joseph Kessel, affecté au BCRA et auteur, avec Maurice Druon, du merveilleux Chant des partisans, que nous entendrons tout à l'heure.
Comment ne pas avoir une pensée émue pour les hommes et les femmes du BCRA qui n'ont pas vu la victoire, ceux qui sont morts pour la France : en déportation, fusillés, tués lors d'accrochages, assassinés et enfin ceux qui ont préféré le suicide pour ne pas parler.
Ces hommes et ces femmes sont des héros pour la France, ce sont des modèles pour la DGSE.
Dès le 25 août 1944, le représentant à Paris de la DGSS (le service qui est le résultat de la fusion du BCRA et des services spéciaux du général Giraud à Alger) prend possession de l'hôtel Majestic et d'immeubles boulevard Suchet.
Le 26 octobre, la DGSS disparaît au profit de la Direction générale des études et recherches (DGER).
Le colonel Passy, revenu aux commandes, s'attèle à réorganiser le Service et à doter la France d'un service de renseignement à sa mesure, en s'inspirant notamment du modèle britannique.
Le SDECE naît en 1946 et repose sur un principe essentiel qui a toujours cours aujourd'hui: l'unité.
Un seul Service coordonne toutes les activités de renseignement à l'extérieur, et dispose de toutes les capacités nécessaires (humaines, techniques et opérationnelles), sous une même direction, pour gagner en efficacité et en réactivité.
Le SDECE s'installe boulevard Mortier, pour ne plus le quitter et pour simplement changer de nom en 1982 en devenant le Service que nous appelons depuis lors, la DGSE.
A chaque homme et à chaque femme des Services (BCRA, DGSS, DGER, SDECE, DGSE), présent dans cette cour ou présent par la pensée, j'adresse de tout coeur mes remerciements.
Le temps passe inexorablement mais la reconnaissance de la nation reste et doit demeurer toujours aussi vive."