En lisant le dernier post de mon confrère Philippe Chapleau, j'adhère totalement au point de vue qu'il livre, un peu étonné, comme lui, du décalage existant entre les déclarations du CEMAT, sincère quand il évoque "l'indifférence" vis-à-vis de la mort de soldats. Et la réalité que nous vivons régulièrement dans l'exercice de notre métier de journaliste, quand nous souhaitons l'évoquer (1). Il est utile d'aller lire d'abord l'un et l'autre, avant de lire ce qui va suivre.
S'il est évident que la France n'accueille pas les soldats morts au combat comme le fait la Grande-Bretagne ou le Canada, comme le rappelle le CEMAT, il est vrai aussi, et comme le rappelle Philippe Chapleau, que les pratiques de communication ne sont pas du tout les mêmes. Des procès d'intention sur le travail de la presse, et les mêmes globalisations, toujours les mêmes, semblent étonnantes, quand elles ne sont pas injustes. Le rappel de quelques réalités, peut-être désagréables, mais qu'il faut rappeler, n'est pas inutile, pour permettre de bien mesurer de quoi on parle.
La cérémonie d'hommage aux Invalides, par exemple, n'était pas ouverte à la presse (ce qui peut facilement se comprendre par une volonté d'intimité pour les familles, mais alors pourquoi déplorer l'absence de la presse ?). Pas plus ouverte à la presse, d'ailleurs, l'arrivée de neuf blessés du BG Richelieu, à Orly. Le site internet du ministère de la Défense a donc pu, de fait, être le seul à pouvoir l'évoquer avec des photos. C'est donc que c'était possible.
Il est possible de couvrir ces évènements sans sombrer dans le voyeurisme ou dans le story telling morbide. Comme l'exprime Philippe Chapleau, dont le journal, Ouest-France, n'est pas connu pour son sens du voyeurisme.
Il faut, de plus, rappeler que l'ouverture des armées sur la question afghane, bien réelle désormais (avec la forte progression de l'opposition des Français...), est cependant très tardive puisque ce conflit a commencé il y a dix ans. Et jusqu'à l'été dernier, il m'était par exemple très difficile de faire mon travail de journaliste en Afghanistan. Il m'a même été impossible d'y mettre les pieds pendant deux ans.
Comme le rappelle le confère, jusqu'à une période très récente, et malgré des demandes récurrentes, il était impossible d'évoquer le sort des blessés de l'Afghanistan. Tout proportions gardées, un parallèle peut être établi avec ce qu'avaient vécu les blessés (russes) d'Afghanistan en leur temps : c'est un blessé français qui m'en avait fait la réflexion. Certains blessés, et leurs familles, qui les aident à se reconstruire moralement et physiquement, souhaitent cette médiatisation, bien au-delà des quelques sujets, par aileurs très encadrés, qui ont pu être réalisés jusqu'à maintenant.
Notons enfin et toujours qu'en Afghanistan, certains sujets qui n'ont rien de sensible restent interdits de couverture, comme l'action des gendarmes, que le patron de la Task Force La Fayette a pourtant encore loués ce matin.
(1) et rappelons-le, du temps (gratuit) que nous passons à alimenter nos blogs.
POST SCRIPTUM : le fossé existant entre la France et la Grande-Bretagne, pour ne pas dire la différence profonde, peut être mesurée par un récent hommage au Captain Lisa Jade Head, qui est morte le 19 avril des blessures subies en Afghanistan : pêle-mêle y parlent sa famille, ses frères d'armes, supérieurs et subordonnés, sapeurs, medics et paras. Au bout des 22.500 signes de témoignages très forts, seulement, figure la réaction du mindef britannique. Le tout donne une impression de sobriété, de fraternité, et permet de comprendre pourquoi cet officier de génie manquera à ses proches, et à ses frères d'armes, et pourquoi elle est morte là-bas. Ce texte n'est pas un article de presse mais l'...hommage effectué sur le site internet du MOD, qui démontre donc la très forte marge de progression que conserve son homologue français.