samedi 24 mars 2012

Cavalier, qui es-tu ?

C'est peu de le dire, comme le chasseur, le cavalier est mal connu du grand public et bien des images surannées circulent sur son compte. Un des explications, à mon sens, réside dans le point commun qu'ils partagent tous les deux : l'exiguïté de leur outil de travail. Autant l'embed journalistique est possible dans un VAB d'infanterie, un hélicoptère (1), autant on n'a jamais vu de journaliste raconter in vivo l'attaque du terrain d'Al Joufra depuis le cockpit d'un chasseur, ou la mise en échec des attaques de rebelles sur l'aéroport de N'Djamena, à l'intérieur d'une Sagaie du 1er REC (2).
Partant du constat de cette sous-exposition médiatique, que Charles Maisonneuve attribue aussi très justement au manque de volontarisme des militaires pour faire rayonner leur activité, ce réserviste de... cavalerie et dircom de Renault Trucks a pris sa plume caustique pour faire entrer ses lecteurs dans l'espace exigû des Leclerc, Sagaie, et autres AMX10RC. Beaucoup d'Afrique, un peu d'Afghanistan, la plupart des unités de cavalerie sont ainsi évoquées uniquement dans leurs mérites, le reste étant soigneusement balayé. Il est vrai que l'angle retenu est l'étude des cas tactiques, le justice civile se chargeant, en fin d'année, du chapitre judiciaire.
Malgré cette réserve, ce plaidoyer pro-domo reste néanmoins très lisible, et journalistique dans certains aspects, puisque l'auteur (ancien journaliste) garde de la distance avec son objet, et n'hésite pas à tirer au mousqueton, et parfois au 105 mm sur la maison qui l'abrite. Par exemple dans cette évocation des cursus des officiers : "ils sont aspirés dans un cycle du temps de formations et de responsabilités en état-major qui les éloignent durablement des réalités du terrain. Si bien que certains reviennent commander un régiment au grade de colonel, près de 10 à 12 années après leur temps de commandement en tant que capitaine. (....) Surtout, cette dizaine d'années constitue souvent une traversée du désert où le jeune officier plein d'idéaux se "fonctionnarise" et risque de perdre une partie de son enthousiasme. En effet, si la plupart des jeunes cadres de l'armée de terre sont de grande qualité, il faut bien admettre qu'à partir du grade de lieutenant-colonel, la qualité des hommes est beaucoup moins homogène."
L'ouvrage regorge aussi d'anecdotes parfois savoureuses. On apprend ainsi, transmis par l'ancien patron de Licorne (l'actuel CEMAT), comment un AMX10RC détruisit, en marche arrière, un BTR80 ivoirien, avec un pod fumigène. Ou que le 2e RH fut utilisé en Normandie, en 2004. L'EEI 3, lui, fut mobilisé pour contrer les opposants au centre d'essais des Landes, manifestant contre le M51.
Charles Maisonneuve glisse aussi deux-trois coups de griffe aux logisticiens, en rappelant qu'en 2004, des AMX10RCR n'avaient que trois obus de 105 mm à se mettre sous la dent, suite à une erreur dans l'approvisionnement. Idem pour l'ERI engagé à Uzbeen, dont le chef évoque, dans un rapport repris par l'auteur, l'absence de munitions pour les 12,7 mm, les Minimi, ou même, des grenades... C'est mieux quand c'est écrit, ce qui peut démontrer que vote serviteur qui l'écrivait à l'époque n'avait rien inventé comme on le lui a longtemps fait le procès d'intention, et lui a valu quelques misères.
Il y a toujours de belles histoires dans les pires moments, retenons celle-ci, qui a aussi capté l'attention de l'auteur : une section du 1er TIR, commandée par un adjudant, désobéit en 2004, pour venir au secours des AMX10RC évoqués plus haut, ceux qui n'avaient que trois obus de 105 mm.
Ce qui montre bien, qu'en Côte d'Ivoire, il était possible, comme partout ailleurs, de désobéir à un ordre absurde.


Les combats de la cavalerie blindée, éditions Economica, préface du général Michel Yakovleff, 120 pages.

(1) malgré un espace disponible important, tous les journalistes ne sont pas pour autant les bienvenus dans tous les hélicoptères. L'arguement n'est donc que partiel, tout le monde l'aura compris.
(2) la seule solution consistant à croiser des cavaliers extra(vertis), ce qui m'est arrivé pour le récit effectué par le capitaine du 12e Cuirs engagé à Abidjan, en avril dernier. Ce récit minutieux est paru dans le hors série opex de RAIDS.