Voici le prononcé de l'allocution du général André Lanata, hier, sur la base aérienne projetée de
Jordanie, face à une centaine d'aviateurs. On le découvre au fil des minutes, son discours a des accents nets du général de Villiers, et n'oublie pas la réalité interarmées de la BAPJ.
"Je vous remercie de m’accueillir, une nouvelle fois, ici, sur notre base aérienne projetée en Jordanie et avec moi des représentants de la presse française, que je salue également. J’ai toujours autant de plaisir à venir pour me rendre compte sur le terrain de la réalité de nos opérations et de votre engagement.
Le terrain, c’est la vérité.
C’est aussi le plaisir de venir au contact des hommes et des femmes de l’armée de l’air engagés au combat.
Ici, vous révélez l’expression et l’incarnation de l’état militaire : par ce que les opérations exigent de vous en matière de disponibilité, de droits et de devoirs: celui de porter les armes de la France. Par ce qu’elles exigent de vous d’obéissance et de sacrifice librement consenti, accepté par avance. C’est quand même ça la seule vérité.
Nous avons renoué avec des opérations qui sont devenues plus dures, plus complexes.
C’est pour ces opérations que vous vous préparez. C’est dans ces opérations que vous décidez, que vous emportez l’adhésion de vos équipiers, et que, en définitive, vous prenez l’ascendant sur l’adversaire.
Ici, en première ligne pour la sécurité là-bas
Me voici donc revenu devant vous, avec nos forces, à l’avant. Me voici revenu pour vous exprimer toute la fierté que j’ai de commander des aviateurs en première ligne des combats que mène la France, ici, au Levant, dans le cadre de l’opération Chammal. Vous êtes en première ligne pour la protection et la sécurité des Français. Vous représentez même peut-être la première ligne de défense de la France contre Daech, un réseau terroriste qui a planifié depuis son sanctuaire Syro-Irakien des attaques barbares sur le sol de France, et dans d’autres pays amis.
Le Président de la République n’a pas dit autre chose le 2 janvier lors de son déplacement en Irak: « Agir contre le terrorisme au Levant, c’est aussi prévenir des actes terroristes sur notre propre sol ».
Ici, depuis la base aérienne projetée de Jordanie, vous contribuez directement à la neutralisation d’un ennemi prioritaire, je dirais même existentiel pour la France. Ainsi vous contribuez ici, depuis cette base aérienne, de façon déterminante, à la sécurité des Français, car les racines des menaces qui continuent de peser sur la France se trouvent là-bas, à moins d’une heure de vol du lieu où nous nous trouvons.
Là-bas que se trouvent les usines de fabrication d’explosif improvisés, là-bas que se retrouvent les combattants étrangers venus rejoindre les rangs de Daech, là-bas que se situent leurs camps d’entraînement, depuis là-bas que ses responsables conduisent leurs attaques contre toute l’Europe !
Vous, ici en Jordanie, loin de chez vous et de vos familles, chaque jour, vous combattez cet ennemi.
A sa racine.
Inlassablement depuis deux ans. Pas un jour, pas une nuit, ici sur notre base aérienne projetée en Jordanie, sans que le bruit des réacteurs de nos Rafale ne rythme votre vie… et accessoirement votre sommeil !, sans que vous ne vous précipitiez pour les remettre en ligne de vol, sans que vous ne réapprovisionniez bombes et missiles sous les ailes, sans que l’ensemble de la base aérienne projetée, que je n’hésite pas à comparer à une ruche, ne concentre toute son énergie vers un seul but, celui de l’exécution des missions ariennes demandées par le pays.
Vous mettez tout en œuvre pour que les avions remplissent leurs missions, coûte que coûte : en soutien de la progression des forces de la coalition réunie contre Daech.
Et afin de réduire progressivement le potentiel militaire de l’ennemi en ciblant ses centres de gravité.
Une performance au quotidien
Vous réalisez ici une véritable performance au quotidien.
Il faut le dire. L’exceptionnel est ici la norme. Les missions sont complexes, fatigantes physiquement et nerveusement. Plusieurs ravitaillements en vol, conclus par vos tirs de bombes guidées dans un environnement extrêmement complexe, avec des risques bien réels comme le survol des zones occupées par Daech. Cette complexité c’est également l’attitude de cet ennemi non conventionnel, fugace, qui recherche la dissimulation dans les zones urbaines, l’imbrication avec les forces de la coalition
et qui n’hésite pas à se mêler à la population civile.
La performance que vous réalisez au quotidien, c’est également la précision et la rigueur des gestes techniques des mécaniciens ou des transmetteurs, le travail de fourmi de nos interprétateurs photos et officiers de renseignement. C’est aussi la veille attentive, de chaque instant, des commandos de l’air pour garantir la sécurité de la base,
Je n’oublie pas le magnifique travail des infrastructeurs de l’air, je devrais dire des bâtisseurs, qui ont fait de cette base aérienne le magnifique outil de combat qu’elle est aujourd’hui… ou encore l’investissement sans faille des différents soutiens qui permettent à la base de vivre.
Ici, chacun d’entre vous, individuellement, chacun dans votre métier, et collectivement par vos actions combinées, vous constituez une machine de guerre bien huilée, un système de combat redoutable, au sein duquel vous savez parfaitement allier la très haute technicité et les technologies de pointe que vous exploitez avec la rusticité de votre environnement, de vos conditions de votre vie ou de votre travail.
Vous en avez l’habitude !
Ici, vous constituez une base aérienne, qui reprend le mode de fonctionnement de nos bases aériennes métropolitaines, systèmes de combat à part entière. Des équipes resserrées, chacun à sa place, vous êtes tous indispensables, du fusiller commando au pilote, du transmetteur au mécanicien, de l’interprétateur photo au médecin, ...
La base aérienne projetée porte en elle cette cohésion incomparable résumée magnifiquement dans la phrase de St Exupéry tirée de Pilote de Guerre : « Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous. »
La Base Aérienne Projetée, c’est à la fois une cohésion et un modèle d’organisation hérités des terrains d’aviation de 1917,
que je me plais à rappeler au moment où nous commémorons le centenaire des exploits de nos grands anciens pendant la grande guerre,
Terrain d’aviation, base aérienne : un modèle qui forge la culture transmise tout au long de l’histoire de l’armée de l’air. Un modèle économe et éprouvé ! Vous en faites la démonstration tous les jours.
Les résultats sont là
Eprouvé, car votre action porte ses fruits, soyez en convaincus ! Les résultats sont là : plus de 11500 heures de vol réalisées à partir de cette seule base. 2300 bombes tirées par les avions français dont 1800 par les équipages de l’armée de l’air. Nous avons quasiment doublé les frappes en 2016.
Et Daech recule partout. Daech est sur la défensive. Daech a perdu l’initiative. Daech a perdu la moitié de Mossoul ! C’est grâce à vous !
Car ces résultats sont celui de l’action de l’arme aérienne, donc votre action, intégrée à une vaste coalition.
90% des effets militaires contre Daech sont obtenus à partir des avions ! Seule l’arme aérienne permet au combat qui se déroule de s’affranchir de la tyrannie des distances, et des inconnues meurtrières du terrain, pour frapper l’ennemi au cœur de son système, comme nous l’avons fait, à Raqqah, dans la nuit qui a suivi les attaques du 13 novembre 2015 à Paris, moins de 24 heures après l’ordre du Président de république. Ou pour accompagner en temps réel la progression des forces au sol. Appuyer les forces au sol ou aller chercher l’ennemi où qu’il se trouve, c’est l’atout de l’arme aérienne.
Nous le faisons également ailleurs dans le monde. Au moment où je vous parle, vos frères d’armes survolent l’immensité désertique de la bande sahélo-saharienne pour traquer les djihadistes d’Al Qaeda ou d’autres groupes armés.
Ces actions sont rendues possibles par l’articulation d’un dispositif complexe conduit par la coalition, dans lequel sont intégrés notamment les puissants moyens de commandement et de conduite indispensables aux opérations aériennes modernes, mais aussi les moyens de ravitaillement en vol où les moyens de surveillance sans lesquels nous ne pourrions opérer.
Je salue à cet égard l’équipage de l’ATL2, stationné ici, qui nous apporte un appui déterminant dans le domaine du renseignement. Pas de renseignement, pas d’objectif. Nous le savons bien.
Ici, au Levant, ces atouts incomparables sont donc orchestrés au sein d’une campagne aérienne, systématique méthodique, patiente, et qui porte ses fruits, précisément parce qu’elle est capable de s’inscrire dans le temps long.
La clef est bien la poursuite de cet effort dans la durée, qui nous permet aujourd’hui d’envisager la reprise de Mossoul.
Dites-vous que, sans vos efforts, intégrés à la coalition, sans votre action patiente réalisée depuis deux ans,les forces irakiennes ne seraient pas parvenus jusqu’aux rives du Tigre à Mossoul.
Un autre exemple : au début de l’offensive terrestre de la bataille de Mossoul, le nombre de VBIED envoyé par Daech contre les troupes irakiennes étaient de l’ordre de 10 attaques au véhicule piégé par jour. Le rythme aujourd’hui est inférieur à 10 par semaine.
Ces avancées spectaculaires dans la bataille de Mossoul n’ont été rendues possibles que par l’affaiblissement progressif et constant des capacités de Daech produit par les effets de nos avions depuis plus de deux ans.
Ce résultat est en partie le vôtre, vous les 400 aviateurs de la base aérienne projetée.
Ce résultat vous le savez est aussi celui de la patience, de la méthode, de la durée, donc de l’endurance.
Durer
Car le combat n’est pas terminé. Nous allons continuer à nous battre contre Daech, le temps qu’il faudra. Nous allons poursuivre cet ennemi où qu’il se réfugie. Daech n’est pas un ennemi comme ceux que nous avons rencontrés jusque-là. Nous sommes en guerre contre l’idéologie qu’il porte. Certains hésitent avec ce terme de guerre qui effraie. Vous savez ici ce que cela signifie et n’avez pas de doute. Dès lors que cette idéologie cherche à détruire dans la violence et le chaos notre modèle de société, de quoi s’agit-il d’autre ? Dès lors que les victimes sont militaires et civiles jusque dans nos propres rues, de quoi s’agit-il d’autre ?
Daech se battra jusqu’à la fin, car la vie humaine n’a pas d’importance pour lui. Il use de méthodes non conventionnelles,
n’hésitant pas à exploiter et à mettre en scène la barbarie à des fins stratégiques, ou à utiliser la population non combattante comme bouclier humain. C’est la raison pour laquelle ce combat va durer encore.Et nous ne savons pas combien de temps. Il est de mon devoir de vous le dire. Car je sais l’effort qui vous est demandé.
Ce combat use les machines et les hommes. Je sais le travail que représente le déploiement de 8 chasseurs sur une base aérienne projetée, les heures de vol et de maintenance qu’on ne compte pas, alors que, précisément, la ressource humaine est comptée. Je sais que vous ne connaissez pas beaucoup de répit, que vos détachements opérationnels s’enchaînent, entre ici et l’Afrique sahélo-saharienne. Je le sais car je reconnais des visages rencontrés sur tous ces théâtres d’opérations.
Et lorsque vous rentrez en France, vous continuez les opérations sous une autre forme, comme la mise en œuvre de nos missions permanentes de défense aérienne ou de dissuasion nucléaire, ou encore de protection de nos bases et du territoire national.
Je pense aussi à vos familles, car je sais qu’elles partagent une part de votre passion, et de vos sacrifices.
Je leur rends hommage devant vous, elles qui assument la tête haute vos absences, vos prises de risque. Elles portent ainsi à leur manière une part des combats de la France.
C’est pour vous aider à soutenir dans la durée ce niveau d’engagement aussi noble qu’exigeant, que le Président de la République a décidé en 2016 d’une augmentation des moyens consacrés à la défense. Ces mesures concernent autant les équipements, les munitions, et l’entretien de nos appareils que l’amélioration de la condition du personnel, prenant notamment en compte la nécessaire compensation de vos absences, et le soutien à nos spécialités les plus en tension. Les mesures d’actualisation de la loi de programmation militaire, et celles qui ont suivi le conseil de défense d’avril 2016, constituent ainsi une première réponse au défi de l’intensité et de la durée de nos engagements.
Ce soutien à vos efforts est indispensable pour vous permettre de continuer le combat. Il doit donc se poursuivre, comme le Président de la République l’a souligné dans ses vœux aux armées, prononcés sur la base aérienne de Mont de Marsan le 6 janvier : Je le cite « Nous devons aller vers 2% [du PIB] […]. Sûrement sur les 5 prochaines années. […] Nous devons nous assurer cet effort de défense ».
Sens de la mission
Tout ceci témoigne d’un engagement de la Nation toute entière à vos côtés, une reconnaissance de votre propre engagement désintéressé au service de la France, pour la protection des Français. Je voudrais vous dire que votre générosité vous honore,
Mais qu’elle constitue également un moteur dans un contexte de menace exceptionnel pour notre pays. Car elle permet de faire face à nos ennemis, en toutes circonstances, une abnégation qui peut aussi aller jusqu’au sacrifice ultime.
A cet égard, je vous demande d’avoir une pensée pour vos camarades qui, en 2016, ne sont pas revenus ou sont rentrés meurtris des théâtres d’opérations.
Je pense en particulier à vos camarades des forces spéciales de l’armée de l’air du commando parachutiste de l’air numéro 10, très grièvement blessés l’année dernière en Irak, et qui, aujourd’hui poursuivent le combat dans leur chair, aux côtés de leurs familles et de toute la chaine de solidarité du service de santé des armées, de l’armée de l’air et du milieu associatif.
Pour toutes ces raisons, pour vos frères d’armes qui ne sont pas rentrés, pour les victimes innocentes des attentats dans les rues de paris ou de Nice, pour la sécurité des Français, je voudrais terminer en vous assurant que votre mission a du sens, vous pouvez en être fiers.
Je vous assure en retour que les Français sont fiers de ce que vous réalisez. Ils me le disent à chaque fois que je rencontre des personnalités de la société civile. Vos responsables militaires sont également fiers de vous et de ce que vous réalisez ici. Le chef d’état-major des armées, le général de Villiers m’a chargé de vous le dire : « Dans cette période marquée par tant d’incertitudes, notre pays sait pouvoir compter sur ses armées pour résister, affronter et vaincre. Je vous dis toute ma satisfaction pour l’engagement et la détermination avec lesquels vous répondez à cette attente, au quotidien. »
Nos autorités politiques me le disent de la même manière. Le Ministre de la défense qui s’est rendu ici pour le réveillon du 31 décembre, les députés, les sénateurs… Jusqu’au Président de la république lui-même, chef des armées des armées, qui s’est adressé à vous en ces termes lors de ses vœux aux armées prononcés sur la base aérienne de Mont de Marsan où je l’ai accompagné. Je le cite « Combien grande est la fierté d’être chef des armées, quand on voit cette somme d’engagement, de dévouement et également de qualité, pour exercer les missions qui vous sont confiées".
En vérité, chers aviateurs, marins et soldats de la base aérienne projetée en Jordanie, vous êtes en première ligne et vous êtes sur tous les fronts.
Je ne peux m’empêcher en vous contemplant de citer cet extrait du poème que Jean Pierre Calloch’ écrivait en 1916 sur les tranchées, un an avant de tomber au champ d’honneur de la Grande Guerre. C’était il y a cent ans.
« L'âme de l'Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C'est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit.
J'en paierai cher la gloire, peut-être ? Et qu'importe !
Les noms des tombés, la terre […] les gardera :
Je suis une étoile claire qui brille au front de la France,
Je suis le grand guetteur debout pour son pays. »
Ici, en Jordanie, sur cette base aérienne projetée,
vous êtes debout, comme ce poilu, vous « faites face », pour reprendre la devise de Guynemer, héros des aviateurs, vous participez à la victoire, à n’en point douter.