Voici l'interview de Denise Beau-Lofi, fille d'Alexandre Lofi, un des commandos qui débarqua le 6 juin
1944. Son livre (1), à la fois intime, atypique et romanesque, permet de suivre ses parents qui traversèrent l'histoire et une partie du globe, entre 1940 et 1945.
Votre livre raconte autant l'épopée de votre père, qui a débarqué le 6 juin 1944, que celle de votre mère, qui avait traversé l'Afrique pour le rejoindre. Pourquoi un tel livre maintenant, et pourquoi sous cette forme romanesque ?
Je voulais écrire ce livre depuis très longtemps. A la mort de mon père, en 1992, j'avais rencontré plusieurs vétérans qui m'avaient parlé de lui. C'est le point de départ. J'ai essayé de faire parler ma mère, puis des vétérans m'ont à nouveau parlé. Mais c'est grâce à ma mère que j'ai pu avoir autant de renseignements. Elle a traversé l'Afrique, rejoint Beyrouth puis la Grande-Bretagne, autant de pays que je ne connaissais pas.
Mais cela a été facile car en faisant des recherches pour compléter ce qu'elle m'avait raconté, j'ai eu l'impression d'être transportée dans leur vie, qui leur était propre. Je ne voulais surtout pas écrire un livre de guerre, il y en a déjà plusieurs qui ont été écrits. Les recherches que j'ai faites, sur les pays où ils ont séjourné, m'ont aussi enrichie moi-même. Au final, leur histoire est, comme vous dites, romanesque. Et cela semble beaucoup plaire aux lecteurs, cela pourrait aussi faire un film. Je ne m'imaginais pas que cela prendrait de telles proportions. J'avais décidé de l'écrire d'abord pour ma famille, mon frère qui est mort en 2012 n'en aura lu que quelques bribes. Il m'avait dit : "surtout, n'oublie pas de parler de Walcheren !". A l'époque, je ne connaissais encore rien de Walcheren, du commandant allemand qui avait remis son arme à mon père.
Comment votre mère a vécu les années de guerre, souvent loin de votre père, avec les risques qu'il ne revienne pas ? Elle a elle-même pris des risques en traversant l'Afrique puis en l'accompagnant, au Liban, en Grande-Bretagne, qui connaissait encore des bombardements...
C'est le titre du livre : "il fallait y croire". Mon père, comme ma mère, répétaient souvent cette phrase en évoquant la guerre. Ma mère disait qu'il fallait croire en la bonne étoile, elle était très croyante. Ma mère a traversé l'Afrique pour rejoindre mon père, un peu sans réfléchir aux risques. Elle n'avait que 17 ans, et il y avait un peut d'inconscience dans ce qu'elle a fait. Aujourd'hui, cela semble iréel.
Quels vétérans vous ont aidée ?
Léon Gautier, c'est la mémoire de ce Commando, il a beaucoup d'anecdotes. A chaque fois qu'on va en Normandie, il a de nouvelles bribes à raconter. Léon a toujours un mot pour rendre ces combats sympa, alors qu'on sait bien qu'ils n'avaient pas envie de rire, à l'époque. Quand je lui ai parlé de mon projet, il m'a dit qu'il le préfacerait. Puis j'ai enregistré toutes ses anecdotes, n'écrivant que ce qui est racontable (rire). André Bagot, Paul Chausse m'ont aussi beaucoup aidée.
Vous serez en Normandie, en juin prochain ?
Oui pour les commémorations, évidemment, et pour des séances de dédicaces qui m'ont été proposées à Ouistreham, Bavent, Colleville...
Comme beaucoup de vétérans du commando Kieffer, votre père parlait peu de ce qu'il avait fait. Comment le comprenez-vous, a posteriori, et auriez-vous préféré en savoir plus de sa bouche, à l'époque ?
Il ne parlait pas. Il était très discret, très modeste. Et nous, enfants, ne posions pas beaucoup de questions. Il allait aux commémorations du 6 juin sans qu'on mesure vraiment ce qu'il avait fait. A posteriori, je le regrette, il ne parlait pas, mais on le faisait peu parler de cette époque. Mon fils, qui a suivi sa voie, n'avait que 14 ans quand mon père est mort. Il n'a pas pu, non plus, entendre ses souvenirs. Cette mémoire est importante, notamment pour les jeunes fusiliers marins : j'étais il y a quelques jours au GFM de Toulon, pour parler de mon livre. Un documentaire leur était aussi projeté, Léon y parlait, avec Francis Guezennec et René Rossey. On arrive aux 70 ans du Débarquement, il est temps qu'on en parle davantage, car de moins en moins de vétérans seront disponibles pour en parler directement (NDLR : il ne reste plus que 10 survivants).
Vous êtres la fille d'un marin, vivez avec un marin et un de vos fils a suivi les traces de son grand-père : qu'est ce qui rassemble ces trois générations de marins ?
Le respect. Le respect pour tous ceux qui se sont battus pour libérer notre pays. Je les respecte d'autant plus que que mon père y a participé. Il faut que nos jeunes en soient conscients. Il faut remercier ceux qui ont rendu la liberté à la France, merci à tous les grandes hommes et les résistants qui ont travaillé à cela.
Pourrait-on adapter cette histoire au cinéma, ou à la télévision ?
J'aimerais beaucoup.
(1) "Il fallait y croire", Editions du bout de la rue. 310 pages, 18 EUR.