Ils étaient 34, fin 2008, à opérer discrètement en Afghanistan (et déjà 80 en Irak, où le concept fut créé) : les lappers (pour law enforcment professionnals) ont été chargés par le Pentagone de chercher, chercher, et encore chercher des preuves, pour envoyer les insurgés à l’ombre, et permettre de démanteler efficacement des réseaux. Les lappers constituent une petite révolution dans le landerneau militaire américain puisqu’il s’agit d’employer des civils, pour l’essentiel d’ex-flics (des enquêteurs du FBI, de la DEA, des polices métropolitaines et d’Etat, mais aussi des « forensics », ces techniciens spécialisés dans le recueil d’indices sur les scènes de crime…) dans une mission que l’armée elle-même pensait pouvoir assurer. Initialement, avant de se rendre compte qu’elle ne pouvait être tenue que par des professionnels du domaine.
Désormais, ils sont systématiquement engagés dans les opérations d’ampleur, en coopération avec la police afghane. Cette dernière, par principe, elle la seule à pouvoir perquisitionner les domiciles des Afghans. Le lapper l’accompagne, et contribue à récolter qui des indices matériels, mais aussi des éléments qui permettront d’en collecter d’autres. Cette discipline, on l’a compris, n’a pas d’équivalent dans l’armée française, où la discipline la plus proche s’incarne dans le renseignement conversationnel pratiqué par le GRI de la Brigade de Renseignement. (NOTE : comme aux Etats-Unis, même si c’est une moindre échelle, quelques policiers français sont aussi réservistes dans les armées. A notre connaissance, aucun n’a été employé sur le théâtre afghan).
En quelques mois, ces experts ont réussi à faire l’unanimité sur eux, grâce à leurs résultats. « Quand vous êtes flics, m’explique Matt, 53 ans, (que pour sa propre sécurité, nous avons choisi de rebaptiser), un de ces lappers, vous avez le sens de la conversation, et vous allez à la vérité. Quand vous êtes soldat, vous avez été formé à assurer une mission précise, des paramètres stricts, vous avez une hiérarchie, vous avez des ordres stricts. Si vous êtes flic, vous avez la possibilité de suivre une conversation, de progresser vers la liberté. Votre liberté de flic, c’est votre meilleur outil. De même, les militaires sont accoutumés à collecter du renseignement, essentiellement par des moyens électroniques, aériens, ou en élaborant des statistiques. Le policier, lui, collecte des indices, des preuves, en vue d’une condamnation. C’est une démarche différente ». Les lappers ont aussi pour eux une longue expérience de terrain d’une vingtaine d’années : c’est souvent… l’âge des spécialistes du renseignement de l’armée.
En 22 ans de police, Matt a traqué pour la DEA des narcotrafiquants colombiens, mexicains, hong-kongais. Il était à New-York, pour une audition, le 11 septembre 2001. Puis il a quitté pour un important service de police de la côte ouest, où il officiait comme « crime scene investigator » (CSI). Puis il a signé pour un an, comme lapper. « Les Talibans sont devenus une organisation criminelle que mon expérience d’investigation me sert à mieux cerner. J’apporte cette perspective aux militaires car ils n’ont pas été formés à cela. On ne demande pas à un militaire de savoir effectuer méthodiquement une fouille, de trouver des preuves. Au fil des semaines, les responsables militaires ont trouvé que cette approche avait de l’intérêt, et dégageait des résultats. »
« Clairement, la guerre vire du « pur kinétique » à la contre-insurrection, avec un aspect de lutte contre la criminalité. »
Avant même l’arrivée de la stratégie nouvelle du président Obama, le Pentagone avait décidé de porter à 80 le nombre de lappers en Afghanistan. 250 si l’on inclut l’Irak.
Notre photo : pour des raisons de sécurité évidente, aucune photo d'un "lapper", même floutée, ne peut être livrée, a fortiori sur internet. D'où cette photo d'évocation d'une fouille de véhicule, à proximité de la base de Bagram (crédit : US Air Force).