mardi 19 décembre 2017

DGSE : le crash du Merlin IVC inexpliqué

On l'attendait depuis le mois de... septembre dernier, le voilà enfin, le rapport d'étape du BEAD-Air
sur le crash du Merlin IVC de CAE Aviation, qui avait tué deux pilotes et trois personnels de la DGSE -dont au moins un ressortissant de l'armée de l'air- le 24 octobre 2016, est enfin paru.
C'est une petite première : le rapport porte sur le crash d'un avion privé loué pour une mission clandestine d'un service sercret ! Mais le rapport n'apporte pas vraiment de réponses, et on s'interrogerait même sur la publication de ce pré-rapport.
Sans vraie surprise, le Bureau doit composer avec sa mission d'explication, et le secret qui entourait cette mission. D'où une marge de manoeuvre parfois étroite entre la précision, l'allusion et le flou total.
Le vol LXC7 de la société luxembourgeoise est par exemple présenté comme devant effectuer une mission de "surveillance aéromaritime"(1), assez loin des réalités de l'époque. "Quatre secondes après la rotation, l'avion prend une assiette à cabre importante, rapidement suivie d'un mouvement de roulis à droite rappelle le BEAD-Air. L'avion est observé en trois quarts dos 2 à 3 secondes après, à l'apogée de sa trajectoire". L'avion n'a volé que 10 secondes constate le BEAD.
Le commandant de bord avait 30 ans. Le rapport explique qu'il avait eu une première expérience dans l'armée de l'air régulière en 2009, qu'il avait quitté deux ans plus tard. Le CV n'évoque rien de plus, ensuite. Si ce n'est qu'il avait 3511 heures de vol au total, dont 1229 sur Merlin IVC, le seul appareil qu'il avait piloté dans le semestre écoulé, à raison de 99 heures. Un tiers de ce volume avait été réalisé dans le mois écoulé. Il avait volé sur un SA-227, sans doute celui-ci, le 20 octobre.
Comme on le savait déjà à l'époque du crash, le "pilote de surveillance", un personnel imposé par le règlement de la compagnie, était âgé : il avait 70 ans. Mais son CV, présenté à l'embauche chez CAE Aviation était flatteur : 21.806 heures de vol, dont plus de 2000 sur Merlin IVC. Un type d'appareil sur lequel il n'avait néanmoins pas volé dans le semestre écoulé comme pilote en charge. Par contre, il avait en tout 75 heures comme "pilote de surveillance, toutes engrangées dans le dernier semestre, et 37 pour les 30 derniers jours, sur ce type. Lui aussi avait volé pour la dernière fois le 20 octobre. En tout état de cause, il était apte au vol pour autant qu'il porte des lentilles de correction.

"L'avion a fait l'objet d'adjonction d'équipements courant 2016" évoque le rapport sans s'attarder lourdement sur leur nature, mais on peut imaginer qu'ils n'ont pas beaucoup de rapport avec la surveillance maritime. Les photos du rapport montrent notamment deux radômes extérieurs en forme de plot. La masse à vide de l'appareil avait été augmentée de 116 livres soit 52,6 kg, ce qui ne représente pas forcément la masse de ce qui a été ajouté. En fin de rapport, on apprend même qu'il y a eu "plusieurs" chantiers, et... plusieurs propriétaires, ce qui n'est pas rare sur ce type d'avions. Il était sorti d'usine en 1983.
La maintenance était réalisée par la société Cavok, une filiale française de CAE Aviation qui disposait des agréments nécessaires, constate le Bureau.
On apprend même qu'en 2003, il disposait déjà d'un FLIR (capteur infrarouge orienté vers l'avant). En 2011, il avait reçu des réservoirs supplémentaires et "de nouveaux capteurs" écrit pudiquement le BEAD-Air. Le 10 mars 2016, les anciens capteurs avaient été "déposés" et remplacés par d'autres, ce qui confirme donc le bilan de masse évoqué plus haut. Enfin, à une date indéterminée de 2016, un nouveau capteur a été ajouté, avec une siège en plus en cabine.

Par contre, l'appareil ne dispose pas d'enregistreur d'accident d'après le BEAD-Air. On apprend qu'une campagne d'essais, avec un appareil analogue, a été réalisé en septembre dernier par DGA EV. "Le dépouillement est en cours" écrit le BEAD-Air.
Parmi les premières constations anormales, un voyant rouge sur le système anti-décrochage, sans que pour l'instant il soit possible de conclure. D'autres zones d'ombres perdurent sur le tableau des voyants d'alerte. Le BEAD-Air hasarde plusieurs autres possibilités : une turbulence de sillage, car le petit bimoteur a décollé derrière un plus gros Boeing 757, mais le bureau l'écarte aussitôt, car la réglementation évoque un espacement de deux minutes, il était de trois en les deux appareils. Par contre le BEAD-Air n'exclut pas la possibilité d'un éblouissement par le soleil, sans pour autant qu'il constitue une cause unique.
En attendant de pouvoir en dire plus, le BEAD-Air ne perd pas le nord, et n'a qu'une recommandation, unique : qu'il soit le seul enquêteur désigné sur les crashs d'avions affrétés. On ignore s'il a été entendu pour le crash suivant, celui d'un Antonov dans la lagne d'Abidjan, il y a quelques semaines...
On aurait pu attendre une autre recommandation : que ces mêmes avions comportent aussi des boites noires.

(1) la mission avait été présentée comme un vol douanier, d'où la confusion qui avait régné dans les heures suivant le crash (la Douane opère aussi en Méditerranée). Assez vite, devant l'évidence, le ministère de la défense avait dû reconnaître la mort de trois des siens.