Dans le renseignement, réputé enfant gâté des armées, l'univers des capteurs est plus concurrentiel
qu'on ne le croit, comme l'armée de terre vient de s'en rendre compte à son détriment (c'est plutôt rare). Elle s'attendait à voir partir son système de drone SDTI, déployé depuis 2008 au Kosovo puis en Afghanistan. Mais aucune opex depuis.
Plusieurs facteurs ont réduit cette hypothèse à néant, fâchant le CEMAT monté en personne au créneau défendre les artilleurs du 61e RA. C'est bien aussi du sommet de l'armée de terre que la plainte a fuité.
Mais l'EMA, et vraisemblablement son sous-chef opérations, est resté inflexible, se contentant d'un avion loué à CAE Aviation en plus de celui (ceux) de la BSS, d'ATL-2 de la marine, de Rafale venus de N'Djamena et du concours de deux Fennec de l'armée de l'air implantés à Bangui : ce qui fait suffisamment riche.
Au passage, les Fennec (1) voient leur capacité à collecter du renseignement reconnues officiellement pour la première fois. Ce qui ne veut pas dire que c'est la première fois qu'ils collectent.
Quels sont ces facteurs qui ont fait de l'ombre au SDTI ?
1) D'abord, le système SDTI doit tenir jusqu'à ce qu'on le relève, comme le major Howard à Pegasus Bridge. Or pour l'instant, la date n'a pas arrêté de reculer, et la notification du contrat Watchkeeper, elle, ne cesse de se décaler, ce qui rend la sortie de flotte du SDTI difficile à tenir. La DGA doit donc en tenir compte, et encore racheter des vecteurs (dont le concept a plus de dix ans d'âge, c'est comme si on avait racheté des Harfang en 2013 plutôt que de prendre du Reaper...). Alors même que ce système doit être retiré du service dans trois ans. Mais il n'est donc plus parti en opex depuis l'Afghanistan, et a donc manqué deux cases, Serval, puis Sangaris.
2) Quoique plus déployable et performant que ses prédécesseurs, les CL-289 et Crécerelle, le SDTI reste un système mobilisant trop de personnel pour ce qu'il apporte dans une opération comme Sangaris. Qui n'avait pas forcément besoin de ce qu'il apporte car l'essentiel du besoin consiste à survoler des zones densément peuplées, à Bangui, là où un crash de SDTI ferait mauvais genre (2). Un Fennec touché par une balle a plus de chances de revenir à sa base, comme ce fut le cas lors de tirs en janvier. C'est aussi un bimoteur, et il consomme moins de personnel pour son exploitation. Le Fennec peut aussi être reconfiguré pour des missions canon, ou embarquer des passagers (qui peuvent aussi prendre des photos, ou manient de drôles d'antennes) et récupérer des blessés, infiltrer un binôme de TE... Autant de choses que ne fait pas un SDTI.
Enfin, le Fennec peut aussi décoller en quelques minutes, et ne nécessite pas de zone particulière pour se poser, contrairement au drone, qui atterrit sur des boudins, suspendu à un parachute, ce qui génère aussi une logistique particulière, les commentateurs l'oublient souvent. Bref, le Fennec, appareil pas très capricieux car fondé sur un appareil civil, est un système bien taillé pour Sangaris : empreinte logistique et humaine faible, réactivité importante, polyvalence. Des mots importants dans la gestion des opérations.
3) Globalement, on le voit bien, les mérites des artilleurs du 61e RA ne sont pas en cause, mais c'est bien l'ordre général des opex, la "rentabilité" de chaque militaire partant en opex et des tonnes de matériel qui l'accompagnent qui a primé. D'autant plus avec un format fixé arbitrairement à 1600 pax. Un choix fondé sur une tendance de fond et non un caprice. Et qui, par delà les capacités de renseignement, concerne, de fait, toutes les capacités des armées. Sans exclusive, la France n'en a plus les moyens.
(1) L'ALAT dispose de 18 Fennec, mais qui ne sont utilisés qu'à des missions de formation et de liaison. Afin de redonner des capacités de manoeuvre de sa flotte, l'armée de l'air a rapatrié en France ses Fennec des Antilles, de la Réunion et de Polynésie, pour n'en laisser qu'en Guyane, à Libreville et à Dakar. Auxquels s'ajoutent donc les deux appareils de Sangaris. 8 appareils sont en outre en astreinte en police du ciel en France.
(2) par contre, en forêt, la canopée protège, pour le coup, de l'observation par des tourelles infrarouges, quels que soient les vecteurs qui les portent.