L'EMA l'a reconnu hier lors du point presse hebdomadaire en évoquant, dans un long tunnel
d'autojustification de ses efforts, la protection des militaires français contre les mines : "il est indispensable de disposer d'un meilleur matériel, nous sommes d'accord". L'aveu intervient au lendemain de la mort de trois militaire, mardi, dans l'explosion de leur (vieux) VAB, près de Tessalit. Mais depuis le début de Serval, en 2013, ces explosifs ont tué 8 des 17 militaires qui ont perdu la vie (dont deux du COS) au Sahel. Cinq autres ont été tués par des tirs adverses, et trois autres sont morts de cause accidentelle (dont deux tirs fratricides et un accident d'hélicoptère).
Par delà ces statistiques, brutes, il faut aussi noter la brutale hausse d'explosions -que l'EMA refusait hier d'aborder- depuis le mois d'août : une dizaine. Aucune n'avait, miraculeusement, tué de militaire français.
Il est donc difficile, aujourd'hui, d'expliquer pourquoi il aura fallu tant de temps pour envoyer au Mali des véhicules mieux protégés contre les mines, le risque n°1. Malgré de multiples interpellations, hier, aucune réponse convaincante n'est intervenue.
Les mieux protégés sont les Aravis -six sur les 14 survivants sont envoyés sur place à la demande expresse de la STAT-, les VAB Ultima -ils ne seraient qu'une vingtaine soit une infime fraction de la flotte de l'armée de terre-, les nouveaux PPT pour les logisticiens (les trois morts de mardi évoluaient dans un VAB basique), et les PVP.
Ces derniers, qui ont connu de nombreux problèmes dans leur déploiement, amènent néanmoins une protection plutôt bonne (plusieurs ont explosé, aucun mort).
Evidemment, restent les plus lourds, comme les VBCI, mais il ne sont plus déployés.
L'EMA expliquait hier que tout militaire partant à Barkhane est sensibilisé au risque mines dans sa prépa ops. D'abord, ce n'est pas vrai, il perdure des trous dans la raquette. Et cette sensibilisation ne sert à rien quand on voyage à bord d'un véhicule qui est frappé par une mine : ce qui est le cas pour les situations décrites plus haut. Aucun militaire n'a été tué par une mine en pédestre (une mine antichar ne déclenche pas sur un humain), mais en embarqué.
L'inertie à envoyer du meilleur matériel peut trouver plusieurs explications. Certains affirment que les élongations rendent illusoires l'emploi d'un détachement d'ouverture d'itinéraires piégés (DOIP) comme celui mis sur pied en Afghanistan, où les hotspots (zones piégées) étaient bien identifiées, et les trajets, relativement courts.
Au Sahel, les convois opèrent sur des centaines de kilomètres. Mais cela ne doit pas affranchir de mettre en oeuvre des matériels de détection, hors des "ambiances vitesse".
L'autre problématique est bien plus triviale. Tout est compté en matière d'opex : les effectifs, le matériel, la casse. Barkhane est tellement sous pression budgétaire, que des spécialistes et des matériels ne sont envoyés sur place, de métropole ou d'autres bases de la région, que pour le temps d'une opération (du jamais vu) pour ne pas apparaître sur la ligne des surcoûts opex. Par delà ce coût se pose aussi la question tactique : faut-maintenir des gros bataillons sous-équipés, ou des petits bataillons bien protégés ? La réponse tient à... l'engagement insuffisant de la Minusma, même si elle a aussi perdu bien plus d'hommes sur des attaques de mines, de roquettes. La question est aussi posée pour les forces africaines dans leurs propre pays.
Enfin, Barkhane est désormais très largement sous-exposé, même si l'EMA cherche à le placer sous les feux de la grande presse.
Argument aggravant, Chammal a largement pris le dessus, en termes de priorités politiques. C'est là que se déporte l'effort de chasse, de forces spéciales, mais aussi de renseignement (pourtant essentiel à Barkhane, pour trouver la botte de foin qui héberge l'aiguille). Il sera intéressant, à cet égard, de voir si c'est bien Barkhane, ou Chammal, qui disposera du prochain système Reaper.
Comme pour illustrer ce nouveau poids de Chammal, l'opération aura bientôt son propre général.
Post-scriptum : à ce stade, on ignore la chronologie de l'opération de secours des deux blessés graves. L'EMA a seulement indiqué qu'un hélicoptère MEDEVAC (dont on connaissait pas la provenance, il n'y a pas d'hélicoptère en permanente à Tessalit) les a pris en compte sur le site de l'attaque, pour les ramener à Tessalit, d'où ils ont été évacués sur Gao. C'est là, au rôle 2, qu'ils sont morts dans la soirée.
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