Suite de notre série 65 ans du débarquement avec un nouveau témoignage recueilli en 2004. A nouveau, la vie de ce para pourrait servir de trame à un long métrage, tant Pierre, 23 ans en 1944, a traversé l'histoire militaire de notre pays, sans faire de concession à sa vision de la vie qu'il s'était forgée dans l'adversité -il s'exile en Irlande quand François Mitterrand est élu en 1981, et n'en revient qu'à son départ...-.
Alors que la mission comporte des risques très importants, Pierre accepte sans réfléchir longtemps de sauter en Indre-et-Loire, loin des plages normandes, dans la nuit du 6 au 7. Pour cet officier de la DGER (Direction générale des enquêtes et recherches, qui a succédé au BCRA gaulliste, et qui précède le futur SDECE, ancêtre de la DGSE), il s’agit de surveiller les mouvements de troupes allemandes, dans ce département encore occupé. A charge pour son fidèle radio qui est parachuté avec lui de rendre compte, à Londres, de tout ce qu’il voit. Flash-back sur un parcours hors normes.
« A 21 ans, j'ai fui vers l'AFN, via l'Espagne, fin 1942, et je suis arrivé à Casablanca. Je voulais faire la campagne d'Italie. On pouvait, à l'époque choisir le régiment qu'on voulait : j'ai choisi le 4e régiment de tirailleurs marocains (RTM) qui se battait à Cassino. En base arrière à Taza, le colonel m'a dit qu'il voulait que je fasse de l'instruction de base pour les nouveaux et je suis revenu d’Italie au Maroc, en 1943.
Un officier, un radio
« Arrive une note très secrète, très confidentielle, recherchant des hommes pour des missions spéciales. Sans en dire beaucoup plus. J'arrive à Londres, après des tests à Alger effectués par des Britanniques et des Américains. Le BCRA gaulliste était installé au nord de Londres, fin 1943. Deux groupes opérationnels coexistaient : les « Jedburghs » (dont certains issus des premiers SAS), destinés à l'action, et une unité de renseignement de terrain, celle à laquelle j'appartenais. C’est à son profit que j’ai été parachuté de nuit deux fois en France à partir du printemps. »
Et c’est encore le même scénario qui recommence, dans la nuit du 6 au 7 juin 1944. «On était pas les seuls à partir ce soir-là. Nos binômes, constitués d'un officier et d'un radio devaient transmettre des renseignements à Londres. On devait aussi remonter sur Rennes. Ces couillons d'Américains m'ont parachuté sur un zone possible d'action de leurs armées. Avec tous les Allemands qui remontaient du sud de la France , on était plutôt encombrés avec notre matériel radio. J'ai demandé à Londres de changer d'objectif. »
« Je me suis donc occupé de Tours, Angers et Poitiers. Nous avions du boulot avec mon radio car il y avait beaucoup de boches. D'où les nombreux messages que nous envoyions chaque jour, en changeant d'emplacement à chaque fois, pour éviter d'être repérés par la radiogoniométrie (système de détection par triangulation, NDLR) allemande, très efficace. Mais nous avions été bien formés par les Britanniques, les meilleurs pour l'espionnage à l'époque, et nous n'avons pas été ni repérés, ni pris. »
« Curieux, ces britanniques : il n'y avait que des professeurs d'universités à nous former. Notre instructeur de chiffre (cryptage) était titulaire de la chaire de littérature française époque renaissance, à Oxford. C'était un chiffreur extraordinaire. Les instructeurs américains étaient aussi des universitaires. O' Brian, de l'OSS (Office of Secret Services, l’ancêtre de la CIA , NDLR) était professeur de français à l'université du district de Columbia... Tout ceci donnait une ambiance bien particulière, parce que nous ne nous connaissions pas entre nous, Français, sous nos vrais noms. Tout le monde avait un pseudo. Mais il n'y avait pas de rapport hiérarchique. »
« Pour simple exemple, le colonel Pasquier et Rémy, nos chefs, venaient nous voir une fois par semaine, et discutaient avec nous. Comme ils le faisaient par ailleurs avec les chefs de la France libre, les Américains, les Britanniques. On savait déjà avant de rejoindre pourquoi on se battait. Grâce à ces rapports avec nos chefs, on savait aussi pour qui.
Après son débarquement, la vie de Pierre va prendre encore une accélération. « J’ai été envoyé en extrême-orient en décembre 1944, à Calcutta, et parachuté au Laos où j’ai effectué pendant deux mois des missions de renseignement, comme 10 mois plus tôt en France encore occupée. J’ai participé aussi à la libération de Vientiane, et suis resté 15 mois en Indochine, avant de rejoindre la DGER à Paris."
Les études de pharmacie, aidées par la DGER, les trois premières années passent en deux années seulement. Rappelé à plusieurs reprises, il rempile au 2/1 RCP, en 1952 et saute sur Dien Bien Phu, fin mars 1954, de nuit, une première réservée au 2/1 RCP.« J’ai été fait prisonnier à Dien Bien Phu. Je me suis évadé avec deux camarades, mais j’ai été repris, et libéré en septembre 1954. »
Il intègre le 14e BPC en Algérie et entend, en 1959, le discours de De Gaulle sur l'autodétermination à Colomb Béchar. "Je sentais que Français allaient se battre entre eux, j'ai demandé congé sans solde. Le 15 octobre 1959, j’ai fait mon entrée en pharmacie, et le 13 juin 1961, j’ai été diplômé en pharmacie, à... 40 ans.
(1) Avec le futur amiral Klotz. En 2004, j’ai eu la chance de pouvoir interviewer les deux hommes à quelques semaines d’intervalle, et d'entendre leur récit séparé. Et de pouvoir les mettre en relation, 50 ans après leur évasion. Ils ne s’étaient jamais revus… L’Amiral, pilote et marin émérite est mort, quelques mois plus tard.