La fin de Barkhane est désormais programmée pour les heures à venir. Elle découle directement des
décisions enclenchées, en fait, avec le sommet de Pau.Il aura fallu au président de la République un quinquennat entier ("nous ne serons pas là éternellement" avait-il prophétisé lors de sa première visite à Gao en 2017, à peine élu) pour solder l'opération lancée par son prédécesseur, suite à Serval.
Elle laissera forcément un goût d'amertume aux militaires français dont une soixantaine (toutes les sources officielles ne s'accordent pas sur un chiffre précis) ont perdu la vie au Sahel ou en s'y préparant. Le sentiment récurrent d'avoir accompli la mission, sans avoir réussi à obtenir le cadre politico-stratégique est largement répandu.
L'amertume n'aura pas le temps de se transformer en autre chose, la perspective de nouvelles missions moins asymétriques est patente, en Europe, mais aussi ailleurs.
Après s'être épuisée en guerre asymétriques au terrorisme, et certains diraient, de chimères, les armées et leur chef, qui l'avaient prédit sont désormais confrontés à la perspective de haute intensité, en Europe et ailleurs.
Il reste désormais très peu de temps pour s'y mettre, lancer ce qui n'a pas été un vrai sujet dans ces cinq dernières années (les munitions, plus que la salubrité de certains immeubles), un sujet qui devrait être chiffré ce matin par le député Jean-Louis Thiériot dans sa mission sur la... haute intensité. Les défis sont autant budgétaires qu'industriels, et celui qui est aussi le porte-parole et conseiller de Valérie Pécresse sur la défense a semble-t-il trouvé des éléments de réflexion utiles.
En Afrique, parce qu'elle reste là, le CEMA et ses successeurs vont devoir s'attacher à développer ce que le général Thierry Burkhard a eu sous les yeux en Côte d'Ivoire, il y a quelques jours. Tenter de valoriser une structure maline, peu chère, mais ultra-rentable pur la sécurité du continent : l'académie internationale de lutte contre le terrorisme. Un des nombreux ferments d'un nouveau champ de relations avec l'Afrique, hors de toute imposition culturelle. Cette agora n'a pas d'équivalent, balayant tous les champs d'analyse et de lutte, grâce à un trio de pionniers, issus du 1er RPIMa, du RAID et du GIGN. Ces praticiens ont réussi le tour de force de bâtir une maison africaine, dans laquelle la France aura de moins en moins de responsabilités. Il aura suffi de quelques euros de la DCSD, mais il en faut encore, et aussi quelques hommes et femmes venus des bailleurs, pour consolider les murs de le toit de cette nouvelle maison.
Le modèle des EFS, à Dakar est aussi une vraie réussite : son chef, le général Michel Delpit, a accéléré de plusieurs vitesses en moins de deux ans, un effort réalisé par les différents modules (dont les forces spéciales) de sa petite composante.
Ces quelques-uns ont sans doute contribué à instiller les bons partenariats au bon moment, et à sauver plusieurs pays d'une contamination par les GAT. L'effort doit être encore amplifié avec un effort RH et quelques outils adaptés.
Faute de les avoir travaillés jusqu'à présent, les champs immatériels restent le clair domaine de défaite de la présence militaire française en Afrique de l'ouest. Barkhane est devenu un terme à connotation négative, alors que Serval avait sauvé les Maliens d'une claire déroute militaire. Ces champs vont aussi devoir être nourris avec de nouvelles graines, et travaillés par des cultivateurs formés, pas par des jardiniers qui ont lu trop vite un guide du jardinage pour les nuls. Mais attention aux engrais, les pollutions peuvent parfois être définitives (et c'est un petit-fils d'agriculteur qui parle).
Faut-il redouter une perte en ligne dans l'armée de terre, la grande perdante de la fin de Barkhane ? Il ne faut pas l'exclure : le retour à la solde métropolitaine pourrait amener, en effet, à rendre le métier beaucoup moins attractif, à limiter encore la fidélisation. La préparation à la haute intensité n'est pas primée comme l'opex. La mission comme Lynx non plus. Et il y a aura bien moins de personnel mobilisés par les nouveaux PMO.
D'autres diront qu'elle arrive au bon moment : c'était l'opération de trop et les risques manifestes pouvaient devenir, dans certains foyer, un risque anxiogène.
La fin du Barkhane bien connu n'est pas la fin des opérations cinétiques en Afrique de l'ouest : première arrivées, les forces spéciales et surtout l'armée de l'air et de l'espace ont devant eux un territoire et un ennemi taillé pour leur atouts : agilité, foudroyance, ubiquité, capacité ultra-rapide à la reconfiguration, faible empreinte. Des atouts, qui on l'espère, finiront aussi par être reconnus et payés par des moyens. Il n'est pas (encore) trop tard.
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