lundi 6 avril 2020

Ejection Rafale : la séquence reconstituée par le BEA-E

On se souvient de l'éjection qu'avait connue le 20 mars 2019 un passager civil (de 64 ans) d'un Rafale
de l'ETR (l'unité d'instruction Rafale de l'armée de l'air et de la marine), lors de la mise en palier, sous facteur de charge négatif, juste après le décollage. Le pilote est le numéro 2 de l'ETR. Le rapport du BEA-E livre l'enchaînement des causes qui y a mené, mais également, un certain nombre de situations anormales. Voici les extraits du rapport qui permettent de mieux comprendre l'enchaînement (je n'ai rien modifié, j'ai juste repris les fautes d'orthographe) : "le passager soumis à un certain stress s’installe dans le cockpit : avec son soufflet d’aisance droit du pantalon anti-g non fermé, en effectuant un serrage des sangles de son harnais d’épaule sans rattrapage du « mou » dans le dos, en revêtant son casque sans baisser de visière ni fixer la jugulaire mais juste les attaches du masque, elles aussi mal ajustées."
"Lors du décollage réalisé : le facteur de charge supérieur à +2 g amène le passager à s’avachir légèrement sur son siège, l’application d’un facteur de charge négatif entraîne automatiquement un soulèvement du haut du corps du passager rendu plus important par le rattrapage du « mou », ce mouvement occasionne une incompréhension du passager qui cherche à se « raccrocher », le passager s’agrippe alors à la poignée et déclenche le système d’éjection.
"Suite à cette éjection commandée involontairement de la place arrière : la verrière découpée occasionne une dépression suffisante pour « décoller » la ventouse de fixation de la caméra de sport (avec la possibilité de rentrer dans le volume d’éjection) ; l’arrivée du passager dans le vent relatif occasionne la perte de son casque."
En amont, la mission a connu plusieurs imprévus ou irrégularités qui se sont enchaînées. "En fin de matinée, le pilote reçoit un appel du médecin l’informant de la nécessité de ne pas faire un vol trop intense pour son passager. À partir des informations obtenues lors de cet entretien téléphonique, le pilote décide d’alléger le programme de son vol et de ne maintenir que le début de la mission jusqu’à la première phase briefée et d’annuler le reste de la mission pour réaliser une navigation simple avant de retourner se poser à Saint-Dizier."
Le rapport note aussi un contexte particulier pour le passager : "L’organisation de ce type de vol par des collègues de travail, alors que cela est extrêmement rare pour le personnel de cette société, peut créer un sentiment d’exception. La pression sociale de l’entreprise, représentée par un nombre important de collègues présents et notamment un ancien pilote de l’armée de l’air à l’origine du vol, a empêché tout refus. Par ailleurs, contrairement à la majorité des vols avec des passagers réalisés par l’escadron, le programme de cette journée fait l’objet d’une note de service qui stipule un repas avec le commandant de base, la présence de nombreux accompagnants et d’un reportage photo assuré par la cellule communication de la base. Cette personne est donc considérée comme « un passager VIP (Very Important Person) ». De plus, la rédaction de la note de service ne prévoit aucune solution secondaire en cas d’impossibilité de faire le vol comme par exemple un vol au simulateur, accentuant davantage la volonté de mener à bien la mission comme prévue. Cette situation conduit le personnel de l’escadron à tout mettre en œuvre pour réussir la mission jusqu’à s’empêcher de remettre en cause l’embarquement du passager. La formalisation de l’embarquement du passager à plusieurs niveaux hiérarchiques génère, pour le pilote, un impératif de réalisation du vol d’information au profit du passager. 
"En raison de la recherche d’un effet de surprise pour le passager et contrairement aux préconisations de la fiche technique rédigée par la directrice du CPEMPN (centre principal d’expertise médicale du personnel navigant) et validée par la DCSSA le 13 octobre 2011, aucune visite médicale n’a été envisagée avant le jour du vol. L’expertise a donc dû se dérouler le matin du vol dans un créneau de 35 minutes, moins de quatre heures avant l’heure prévue de départ à l’avion. Or, les recommandations faites au médecin aéronautique stipulent qu’une visite médicale pour un vol occasionnel sur aéronef doté de siège éjectable doit avoir lieu « au moins 10 jours avant le vol, pour permettre la réalisation d’un bilan complémentaire ou d’une visite en CEMPN ». La demande de rendez-vous pour cette aptitude a été formulée le 6 mars 2019, soit 14 jours avant l’événement par le commandant de base de Saint-Dizier. Il avait été précisé au médecin que ce vol était une surprise pour le passager. Dans ce contexte, le médecin a accepté de planifier une visite d’aptitude hors des délais recommandés pour satisfaire à la demande du commandant de base. Cette planification de la visite médicale à quelques heures du vol conduit le médecin à la réaliser sous pression temporelle. Il est alors difficile pour le médecin de remettre en cause le plan d’action initialement prévu par l’organisation. Par ailleurs, une telle contrainte temporelle rend incompatible la réalisation du vol en cas de volonté du médecin de réaliser des examens complémentaires potentiellement nécessaires au regard de l’âge. Le médecin est donc incité à délivrer une aptitude, ou à défaut une aptitude avec limitation, afin de permettre le bon déroulement de la mission. La planification de l’expertise médicale le matin du vol ne respecte pas les recommandations du service de santé des armées. Elle incite le médecin à ne pas remettre en question le plan d’action initialement prévu et à autoriser le vol pour le passager. La normalisation progressive du non-respect du délai de 10 jours pour ce type de visite est préjudiciable à la sécurité aérienne. Une planification inadaptée associée à une panne informatique le jour de l’événement ont conduit à une transmission imprécise de la restriction d’aptitude du passager au commandant de bord. Ni le commandant de bord ni le passager n’ont connaissance de la limitation du facteur de charge à +3 g."
Rappelons que cet événement inédit avait amené à grounder une bonne partie des appareils de l'armée de l'air.

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