L'opération du 3 juin est le zero dark thirty de la France au Sahel. La comparaison, venue de mon
camarade Olivier Fourt vaut vraiment, une autre parlera du Baghdadi Français, mais évidemment, aucune comparaison dans les effets média.
La neutralisation de l'ennemi n°1 de Paris a été sorti dans un environnement qui goûte plus le déconfinement que les résultats des opérations au Sahel.
Aux USA, une telle nouvelle aurait électrisé les média, et au moins deux scénaristes d'Hollywood seraient déjà en train d'écrire le pitch de l'opération. Et le président Américain se frotterait les mains en direct derrière un pupitre à la maison Blanche.
Mais aussi, dans les cinq minutes, on saurait déjà quelle unité de l'USSOCOM a frappé. Or de ce côté-ci de l'Atlantique, le mot Sabre ou forces spéciales n’apparaît jamais dans les compte-rendus. Problème, la task force assure l’essentiel des bilans avec la chasse et les drones, et dans certains esprits, ce bilan concentré dans peu de mains pourrait fragiliser la force Barkhane (qui comprend pourtant les drones et la chasse).
Ce risque justifie, toujours pour les mêmes, certaines entorses à la vraisemblance et souvent aux faits, et même quelques oublis, dont ce mot qui semble parfois cristalliser la jalousie. Dans un environnement politique pourtant propice aux héros, pas le moindre story telling entendu ou lu sur l’engagement de ces personnels.
Car de fait, le bilan attendu par le politique (et qui finit toujours par sortir) doit être collectivisé et anonymisé au profit d'une seule marque, Barkhane, pour maintenir la cohérence d’ensemble et un statu quo du dispositif global. Certains s'inquiètent aussi de l'impact budgétaire que cela pourrait avoir sur les moyens consacrés aux FS (qui manquent souvent de beaucoup de chose pour être encore plus efficaces) et à la chasse (là je ne détaille plus, les lecteurs de ce blog connaissent) (1).
Car la tentation, si l’exécutif était pris d’une fièvre budgétariste, serait de dire : le bilan (donc pour le politique, l'efficacité) au Sahel, ce sont les forces spéciales et la 3D : soit beaucoup moins de mille hommes et femmes, alors que plus de 5500 sont engagés au Sahel.
L’argument de la protection des forces spéciales n’a aucun sens : si un militaire Français est un jour capturé au Sahel ou ailleurs, il passera un très mauvais quart d’heure, quel que soit son statut, son age, son sexe, son unité d’appartenance, ou son tableau de décos.
Depuis la création de la TF Sabre en 2010, ce sont bien les FS qui se chargent des HVT. Sauf improbable combat de rencontre ou embuscade, tout bilan crédité sur un HVT peut donc être attribué à Sabre. C’est le cas de l’essentiel des leaders terroristes capturés ou abattus depuis 2013.
Là où la com pourrait simplement rappeler néanmoins, et des GCOS comme au moins un COMANFOR Barkhane (issu des… forces spéciales) l’ont fait à sa place ces dernières années, pas de FS sans conventionnels : ils en sont issus par la RH, mais aussi par les logiques systémiques d'emploi, au Sahel, où la tyrannie des distances sculpte pas mal les choses.
La force de Sabre repose sur son agilité, sa foudroyance, et celle-ci n’est souvent possible que par du... prépositionnement, des ravitaillements possibles grâce à… Barkhane, qui offre gîte et couvert. Dès que Sabre commencera à s’occuper trop de logistique, il perdra en force.
Certaines manœuvres de Barkhane servent aussi celles de Sabre.
Passer l’élagueuse budgétaire aurait donc sûrement un effet budgétaire (tout politique qui réduit la dépense publique est un héros), mais pas forcément, dans l’efficacité militaire : au Sahel, la France mène depuis des années une guerre à l’économie, n’en déplaise aux économes.
Mes infops et photos sur le twitter @defense137.
(1) un réflexe assez limité, puisque les opérations, y compris la dernière créée, Résilience, ont bien montré (une constante des crises) qu'il est tout aussi important d'avoir des kits d'évacuation médicale, des vecteurs aériens polyvalents, et qu'on... en manque ! Par contre, il ne faut pas non plus avoir un système de défense déséquilibré, fondé seulement sur les moyens qui brillent actuellement dans des guerres, rappelons-le, très asymétriques. Dans lesquelles les unités conventionnelles ne sont pas toujours adaptées. Elles le seraient plus dans une guerre plus conventionnelles, qui fait partie des scénarios probables.