mercredi 17 juin 2020

Comment est née la vision stratégique du CEMAT

L'histoire retiendra que c'est dans une des plus grandes salles de l'EMAT, au Balargone, que la vision
stratégique du CEMAT a été travaillée, deux à trois fois par semaine, de fin août à fin octobre, par un groupe de proches du CEMAT, une demi-douzaine seulement.
Sous le portrait du chef de bataillon Edouard Kah (1), ces officiers ont travaillé jusqu'en octobre, avant d'ouvrir les travaux à l'EMAT tout entier. En janvier, le document était prêt, élaboré par cette équipe réduite de l'EMAT, et cela va de soi, par le CEMAT lui-même. Il est diffusé et infusé en interne depuis quelques semaines.
Ceux qui suivent le CEMAT depuis quelques années, qui ont lu son ordre du jour n°1 (juillet 2019), ses auditions au parlement ou son intervention à la présentation IHEDN, ou encore sa harangue aux terriens de Barkhane à Gao et Gossi (décembre 2019) n'ont pas vraiment été surpris. C'est le même qui commandait la 13e DBLE à Djibouti ou le CPCO à Paris, où les opérations et l'imprévu n'ont pas manqué.
Le CEMAT rappelle que l'armée de terre doit être prête à tout, et particulièrement à la haute intensité. C'est la réponse directe à une question presque aussi simple et fondamentale mais pas inutile par les temps qui courent :  à quoi sert-elle ?
Si l'armée de terre n'a pas participé à une guerre de haute intensité contre un adversaire symétrique et sérieux depuis... la seconde guerre mondiale, l'instabilité et l'imprévisibilité du monde doivent l'amener à mieux se préparer, mais aussi disposer de matériel prépositionné et adapté à la menace (la leçon des crises). Toujours sans avions stratégiques en nombre et capacités suffisants, il vaut mieux avoir les véhicules hors gabarit sur place plutôt qu'attendre d'hypothétiques aides de nos alliés ou fournisseurs (plutôt à l'est). Même avec des A400M qui seraient en grande forme, la cadence d'expédition des VBCI resterait plutôt basse, sans même parler de ce qui ne rentre pas dans un A400M (beaucoup de choses).
Cette préparation à l'improbable comme au probable doit se doubler d'un équipement du haut du spectre au niveau, particulièrement le très lourd, qui commence déjà à vieillir. Les batailles de chars, que la France n'a donc pas connues depuis un temps certain, ne peuvent pas être menées indéfiniment avec un porteur ancien, même infovalorisé. Surtout si son équipage ne peut pas passer de temps à l'intérieur, dans des conditions proches de celles d'un engagement dur.
L'entraînement doit donc aussi être plus dense et plus réaliste. Car l'imprévu comme l'improbable donnent rarement beaucoup de préavis. Aujourd'hui, une mise en condition avant projection commence quasiment un an avant le déploiement. Un exercice de niveau divisionnaire avec l'échantillon des moyens sur le terrain, que ce soit dans les champs physiques et immatériels doit se tenir sans doute en 2022 : l'an prochain, c'est un état-major seul qui participera pour un exercice de ce niveau aux Etats-Unis.
Pour disposer de plus de temps, l'armée de terre va donc faire appel aux réservistes, sans doute au delà des 24.000 qu'elle a réussi à attirer malgré d'incessants mouvements de va-et-vient sur la réserve ces dernières années, qui ont perdu de nombreux pélerins en route. Cela passera donc par une augmentation du budget, alors que ce budget a été fortement réduit cette année, et que des pas forcément pessimistes tablent sur une suite de la baisse en 2021.
Pour sortir d'éternelles carences chez les maintenanciers, séduits par le privé du fait de salaires plus élevées et de localisations plus ensoleillées, le CEMAT veut revenir aux fondements de la vocation, et la valoriser avec la recréation d'une école technique de sous-officiers de l'armée de terre. Pendant très longtemps, l'armée de terre disait pouvoir s'en passer, mais malheureusement, le déficit s'est creusé.
Une école, qui sera peut-être multi-sites va donc contribuer à remettre le travail sur le métier, y compris en détectant des jeunes plus tôt, et en jouant aussi un rôle d'escalier social que les armées manquent aussi souvent de rappeler.

Mes infops et photos sur le twitter @defense137.

(1) tué à Dien Bien Phu. Dans la partie Terre du Balargone, les très longs couloirs sont baptisés du nom de militaires ayant perdu la vie en opérations. Ainsi à proximité de cette salle, on trouve un couloir au nom de Jacky Humblot (marsouin du 3e RIMa mort à Vrbnja) ou de Damien Boiteux (pilote du 4e RHFS tué au Mali le premier jour de Serval).