La France va-t-elle acheter des drones américains, comme croit le savoir le Point ? Peut-être, peut-être pas, car le sujet est un vieux serpent de mer, qui remonte à l'appel d'offres qui a mené au SIDM, un système intérimaire, dès la fin des années 90. A l'époque, on envisageait d'acheter les cellules à General Atomics, et de mettre dessus capteurs et liaisons de données : cette belle bête, pour laquelle militait Sagem, aurait dû s'appeler Horus-SD. EADS prétend alors pouvoir franciser en 23 mois le drone israélien Heron (1).
L'actuel CEMAA, le général Palomeros avait même effectué un déplacement dans l'ouest américain pour expertiser les prétentions techniques américaines. Rien n'avait donc été exclu, dans l'expertise technique du sujet, des capacités du radar à ouverture synthétique et la réalité de sa résolution, au potentiel de croissance, qui était déjà un vrai sujet, alors que le Predator armé n'était pas encore officiellement né.
Seulement, cet projet, avant même d'être concrétisé, soulève aujourd'hui quelques problèmes pratiques, qu'il ne faut pas éluder, ou réduire à une pointure.
D'abord, l'attrition sur la flotte Predator est importante, et l'USAF elle-même concède que l'atterrissage manuel y est sûrement pour quelque chose. Les questions d'ergonomie aussi. 65 des 195 Predator acquis depuis 1994 ont été perdus, dont 36% suite à une erreur humaine, reconnaissait le Pentagone, la semaine dernière. 15% des accidents sont arrivés à l'atterrissage, admettait-on aussi. En cause, les vents sadiques qui soufflent en Afghanistan, et qui déportent les drones en finale, sur les terrains de Kandahar et Jalalabad. Au moment où, allégés du carburant, les drones sont une plume posée sur un moteur Rotax.
A ce train-là, il n'est même pas exclu que le stress générant des grosses gouttes de sueur ne créât un court-circuit dans le shelter (cette phrase est du second degré).
Plus sérieusement, le drone est donc un produit de consommation, pas consommable du point de vue du prix, mais du cycle des opérations. On se souviendra que dans le retex qu'il avait fait des opérations du Kosovo, le général Jean Rannou, emblématique CEMAA de l'époque, avait déclaré, prophétique, que les opérations de demain ne pourraient pas se passer d'avions sans pilote, mais que les industriels devaient faire un effort sur les prix. Il n'aura été entendu que sur la première partie de sa vision.
Le recours à un drone américain pose donc un nouveau problème en termes de soutien (2e chaîne d'approvisionnement), de formation, et de mise en oeuvre. De calendrier aussi, puisque même en prélevant sur chaîne un système, ou en le prenant dans l'arsenal de l'USAF, il ne sera pas raisonnablement en service sous nos cocardes avant un an, au moins.
Enfin, last but not least, cela pose aussi l'accès aux codes de la bête, problème déjà soulevé par les Britanniques, qui avaient disposé de Predators de l'USAF le temps que General Atomics leur livre les trois premiers de leurs cinq Reaper (dont un a déjà été perdu).
On pourrait aussi ajouter que cela compromet peut-être durablement le développement de technologies drones en France. Mais il reste tant de choses...
Le seul avantage est celui d'intégrer une solution déjà retenue par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Italie, et donc de pouvoir, espère-t-on, bénéficier d'un effet de série. Et de simplifier les échanges opérationnels, ce qui, en matière de drones, reste un casse-tête.
(1) à l'attribution du contrat de 41 MEUR, EADS doit livrer en 23 mois. Le SIDM n'est entré en service qu'en juin 2008, soit cinq ans après la date prévue.