Il ne s'en cachait pas quand il était d'active, il récidive donc dans son premier livre, qui sera bientôt
suivi d'un deuxième. Dans "Soldat de l'ombre", co-écrit avec le journaliste Jean Guisnel, le général Christophe Gomart remet une pièce dans un vieux projet de transférer les actifs du service action (SA) de la DGSE au COS."Tout sauf Cercottes", complétait ce matin Jean Guisnel, lors du présentation du livre à quelques journalistes.
Flèche du parthe, ou carreau d'arbalète ? On imagine qu'à la DGSE, actuellement traversée de fortes interrogations, la ré-ouverture du débat ne tombe pas au mieux. Le DGSE ayant reçu, ou n'allant pas tarder à recevoir son propre exemplaire dédicacé va pouvoir connaître les derniers arguments de l'ancien GCOS et ancien DRM (mais aussi ancien coordonnateur national au renseignement adjoint, et ancien chef du bureau réservé), qui récuse par avance toute volonté de régler de comptes, ou de procéder à des attaques personnelles.
Les crédits et les moyens humains de la DGSE ont beaucoup augmenté ces dernières années, c'est sans doute une des structures qui a reçu beaucoup en très peu de temps. Beaucoup, depuis le 11 septembre 2001, mais aussi et surtout, les attaques de 2015. Or des points négatifs s'accumulent (1). Deux faits divers à Cercottes en quelques mois, et surtout, un évènement qui a, dit-on, très fâché le président : ne pas avoir vu venir le coup d'état au Mali (2). Alors que pourtant, dans le système (notamment à la DRM), certains alertaient, et pas que depuis hier.
Le SA reste, par nature, peu éclairé. Le général oriente le projecteur sur une seule de ses opérations, la tentative de libération avortée de Denis Allex. Comme recensé sur mon fil twitter (@defense137), l'ancien GCOS rappelle avoir proposé ses services, et pas que pour des Tigre, dont la DGSE ne voulait pas, au départ de l'action. Ce sont pourtant ces deux appareils du 4e RHFS qui auront évité le pire, sans pouvoir malheureusement empêcher la mort de l'otage et de deux opérateurs du SA.
Le général évoque des opérateurs qui se sont "battus comme des lions" à 50 contre des Shebab en sur-nombre. Comme il évoque une erreur de méthode dans le plan, dans la nature des moyens mobilisés. Mais aussi, dans l'emploi des commandos du SA, qui selon lui, n'avait pas cette habitude qu'ont les FS de travailler en groupe action, dont les maillons se connaissent sur le bout des doigts.
L'ancien GCOS assure aussi que parmi les personnels engagés, certains ont connu leur baptême du feu sur cette opération. L'argument est-il recevable, isolé ? Non, puisque c'est souvent le cas. Le turnover est tel, y compris parfois chez les FS qu'il faut bien un baptême du feu. Mais il est vrai aussi que des turnovers sont parfois néfastes à l'aguerrissement du personnel. En tout état de cause, cette opération a manifestement laissé un goût particulièrement amer à ses opérateurs, qui ont tous épinglé leur CVM sur un panneau, au CPIS. Et sans doute pas seulement parce qu'ils ont perdu trois des leurs dans cette tentative courageuse.
Je laisse aux lecteurs de l'ouvrage l'abondante jungle d'arguments du général, sur ce point, et sur d'autres, mais l'accumulation interpelle, forcément.
La question de l'apport des moyens du SA au COS n'est pas neutre. Sur les commandos, le COS arrive à peu près à tenir la route aujourd'hui, mais reste toujours sujet à un risque de surchauffe, avec deux gros théâtres officiels, et quelques autres qui accaparent son attention. Quelques centaines de commandos ne seraient pas forcément de refus, mais seraient-ils volontaires pour rallier, eux qui ont subi un processus de sélection dur et long, non pas pour trois lettres (COS), mais deux (SA) ou quatre (DGSE) ? Jean Guisnel constate aussi que l'Alizé ne vogue pas forcément très régulièrement en zone d'opérations, et que le Commando Hubert apprécierait sans doute de pouvoir aussi l'utiliser.
Mais et c'est un point oublié par le livre, pour ce que j'en ai lu, c'est aussi et surtout par ses moyens aériens que le SA serait bien utile au COS. Car le GAM-56 Vaucluse détient de très précieux avions Hercules, Transall et Twin Otter (utilisés aussi tous les trois par l'escadron de transport 3/61 Poitou) et des hélicoptères H225 (dont la version militaire sert au 4e RHFS et à l'escadron 1/67 Pyrénées). Une dizaine d'aéronefs qui valent leur poids d'or, dans la période actuelle de très très basses eaux en matière de disponibilité (C-160 et C-130). Peut-on, dans ce contexte, justifier des flottes réservées au GAM-56, pour un emploi opérationnel bien moindre qu'au Poitou, qu'au 4e RHFS ou qu'au Pyrénées ?
Forcément, comme tout ce qui touche à la DGSE, le questionnement n'est pas très vif de la part des parlementaires (en charge du contrôle) voire même des administrations de tutelle. Personne ne conteste, évidemment, la mission de pickup ou d'infiltration ; dans les faits, leur occurrence est sans doute moindre qu'à l'époque du BCRA. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y entraîner ? Mais cela justifie-t-il une unité constituée et des moyens afférents ?
Et si on peut être justmeent fasciné par les modèles de l'époque du BCRA (la France était alors complètement occupée rappelle le général), leurs origines, outre-Manche, ne doivent pas éluder le benchmarking. En Grande-Bretagne, les FS (dont les fameux SAS) assurent à la fois le spécial et une bonne partie du clandestin. Pour les commandos, comme pour les vecteurs. Et, pourrait-on ajouter, avec bien moins d'effectif qu'en France.
Mes infops et photos sur le twitter @defense137.
(1) c'est malheureusement typique des services : leurs insuccès sont connus, leurs succès, jamais, puisque par construction, ils ne sont pas revendiquables. Ce à quoi on ajoute, en France, une communication à fil très étroit, qui en gros, se condense sur quelques récepteurs média, et, thématiquement, sur le BCRA et le bureau des légendes. Donc on l'a compris, par sur l'actualité.
(2) Là aussi, on ne peut pas reprocher qu'à la seule DGSE cette surdité et cette cécité, plusieurs parlementaires français se sont aussi étonnés que l'importance du dispositif français au Mali (mais pour l'essentiel à Gao, donc très loin de Bamako) n'a pas permis de voir des signaux lents. Une bonne télévision permettait néanmoins de mesurer certains signaux, et en passant dans certaines casernes, aussi.