Il y a 67 ans, la France raflait 13.152 juifs, dont 4.115 enfants. Puis les livrait à l'Allemagne, qui n'avait rien demandé. Juste le zèle de Français, quelques hauts fonctionnaires, donnant un ordre qui foulait aux pieds des centaines d'années d'histoire française. Et condamnait ces raflés à la mort.
Sarah avait 14 ans en 1942. Elle a raconté, ce matin, à quelques pas de la rue Nélaton, ce qu'elle a vécu, ce terrible 16 juillet. En voici quelques extraits.
"Le 15 juillet, une de mes camarades de classe m'a dit qu'un commissaire de police avait averti sa famille qu'il y aurait des rafles. Ma mère n'y a pas cru (...). Le matin du 16, la police est venue. Il y avait un inspecteur un civil, avec imper et chapeau comme dans les films, et un policier en uniforme. Mon nom n'était pas sur la liste, ma mère l'a fait remarquer. Le policier l'a inscrit. Ma mère a protesté. Le policier lui a dit : "madame, si vous faites un scandale, j'appelle police secours " (...). Quand nous sommes sorties dans la rue, il y avait là des familles entières, avec de maigres bagages, des matelas d'enfants. On nous a rassemblés dans un garage à l'angle de la rue de Belleveille et de la rue des Pyrénées. On a attendu là une heure puis on nous a entassés dans des bus à plateforme. On a traversé Paris, mais la ville était vide d'Allemands.
Nous sommes arrivés rue Nelaton, au vélodrome d'Hiver. Ma mère a demandé que nous puissions aller prendre quelque chose à manger dans un bar de la rue qui existe toujours. Un policier nous a accompagnées, et nous a ramenées au vélodrome d'Hiver. On entendait des histoires terribles : une femme s'était jeté du 3e étage d'un immeuble avec ses deux enfants, on avait tiré sur une femme dans la rue...
On a compris que nous n'avions pas été raflées pour aller travailler en Allemagne, puisqu'il y avait là des personnes âgées, des personnes handicapées. Ma mère m'a alors dit qu'il se préparait quelque chose de mauvais, et qu'il fallait s'évader à tout prix. Elle m'a donné un ticket de rationnement, et 100 francs, ce qui représentait une forte somme pour l'époque. J'ai rasé les murs, à reculons, jusqu' à un policier. Il m'a demandé ce que je faisais là : je lui ai dit que je venais voir quelqu'un. Il m'a dit : "foutez le camp !" et je suis sorti du vélodrome d'Hiver. Dans la rue, j'ai encore croisé deux policiers, qui ne m'ont rien demandé non plus.
Je dois ma vie à ces trois policiers, qui auraient pu me contrôler, et qui ne l'ont pas fait. J'ai réussi à prendre le métro jusqu'à la station Glacière. Et là, en descendant, je retrouve ma mère qui s'était échappée 20 minutes après moi. Nous avons pu rejoindre le domicile d'amis que nous avions dans ce quartier.
Nous avons vécu libre pendant près de deux ans, avant d'être dénoncées, et déportées dans le convoi n°75 du 30 mai 1944 pour Auschwitz."
Notre photo : Sarah, ce matin, à quelques pas de la rue Nélaton, où la police française l'avait amenée, il y a 67 ans.