Jean-Michel Jacques est ancien infirmier commando des armées, et vice-président de la commission
de la défense de l’assemblée nationale. Ce blog l'a interrogé cet après-midi sur les différents aspects de la crise du coronavirus.
Comment se traduit le coronavirus dans les unités militaires de votre région ?
Les unités continuent à s’entraîner en mode plus réduit. Des tâches sont adaptées pour éviter les concentrations de personnel. Dans la marine nationale, on ne fait plus la séance de sport collective, c’est individuel. Sur les bateaux, on apprend très vite à faire de l’exercice sportif dans des petits volumes. L’entraînement au tir est adapté aussi, organisé par petits volumes. L’important est de maintenir les compétences et le niveau pour pouvoir partir en opérations. Par contre, les écoles ont un régime différent de l’opérationnel (Le stage commando a notamment été interrompu au bout d’une semaine seulement, comme signalé sur mon twitter, NDLR).
Quel regard portez-vous sur l’opération Résilience ?
J’attendais impatiemment qu’elle se déclenche. Car elle est indispensable et complémentaire. Elle est indispensable, car c’est l’ensemble de la nation qui est touché par l’ennemi, ce virus, il est donc tout à fait logique que les moyens des armées soient mobilisés pour aider notre pays à passer cette difficulté. C’est complémentaire car on le voit bien, le déploiement des trois armées réside dans des niches ou des besoin complémentaires. Le Morphée de l’armée de l’air n’existe pas dans le civil. L’armée à la connaissance humaine et le matériel pour compléter le dispositif de sécurité civile et intérieure, et du ministère de la santé. Le PHA Tonnerre qui évacue les patients depuis la Corse ou le Mistral et le Dixmude demain, c’est complémentaire des actions par ailleurs, mais ce serait difficile à réaliser sans la marine nationale.
L’armée de terre est aussi sollicitée pour ses compétences NRBC via le 2e Dragons. La spécificité NRBC a toujours été en pointe dans les armées, même si des pompiers ont aussi des moyens dans ce domaine.
Cette bataille contre le virus a des clusters, des poches de résistance, où il faut positionner des moyens accentués. Dans la durée, les combats ne seront pas forcément identiques, il faut des moyens mobiles, et les armées amènent cela avec l’aéromobilité, leur capacité à mener des missions dans des territoires qu’elles ne connaissent pas.
Quelle place pour le SSA dans ce combat ?
On retrouve cette complémentarité, le SSA s’inscrit dedans. Le front difficile est dans l’est de la France, il y projette son hôpital de réanimation de l’avant. Si, demain il doit se redéployer ailleurs, il pourra déménager et continuer à rendre service. C’est complémentaire des hôpitaux du ministère de la santé. On ne déplace pas un hôpital civil à l’autre bout de la France. Le SSA prend sa part à travers ce déploiement-là mais aussi avec des HIA, Begin, Percy, Sainte Anne, Clermont Tonnerre à Brest.
Et n’oublions pas l’épidémiologique, une connaissance que le SSA a depuis des décennies, il a toujours été à la pointe dans son histoire, apportant à la recherche.
La DGA et l’AID ont aussi à apporter. La DGA amène son expertise, elle a validé 30 modèles de masques sur 700 testés, ceux faits par les entreprises en France, car il n’y aurait rien de pire que d’introduire des masques qui ne protègent pas. Pour sa part, l’AID a lancé des appels à idées.
Pas de combat sans pilotage, est-il au rendez-vous, comme la communication, d’ailleurs ?
Je trouve que la ministre et l’EMA communiquent pas mal. Il y aurait pu avoir une communication plus en amont, mais ils ont voulu aussi sécuriser cette communication par rapport à ce qui allait être fait. Une fois cette communication enclenchée, je la trouve fluide. C’est important, car nos concitoyens ont une grande confiance dans les armées et se sentent rassurés de voir cette mobilisation des armées.
Le SSA n’a-t-il pas été trop rationalisé ?
Dans les composantes d’armées, en régiment, sur bases, le soutien médical n’a pas baissé, du fait de la culture du risque.
Des HIA ont été fermés, le format est plus réduit, c’est vrai, mais ce n’est pas le problème. On avait perdu de vue le risque sanitaire. Dans les think tanks, on parlait de cyber, d’espace, mais on n’était plus sur ces sujets-là. La santé est un sujet qui ne venait pas. On peut regarder la revue stratégique, on y parlait bien plus de cyber. Cette crise peut nous permettre de mettre en perspective cette thématique. Par le passé, il n’était pas évident de maintenir les arbitrages, quand beaucoup de besoins devaient être financés.
Pensez-vous que cette crise va contribuer à remettre en cause le budget de la défense ?
Notre pays fait face à quelque chose de tellement important j’ai du mal à imaginer qu’aucun budget ne soit touché.
Y compris la défense ?
Ce ne sera peut-être pas sur le budget, mais sur les priorités. Il y a aura forcément un impact.
Quelle adaptation du travail parlementaire avez-vous connu ?
Les députés sont en télétravail. Il est intéressant de voir ou pas cette capacité s’adapter. Avec les moyens technologiques, on peut continuer à faire des conférences, à échanger, à instruire des dossiers, à attirer l’attention.
Des membres de l'opposition demandent une commission d'enquête. Dans tous les cas, pour ce qui concerne la défense, un rapport spécial visant à étudier n’aurait-il pas tout son sens ? Le travail abattu et les carences constatées ne le justifient-ils pas ?
C’est un sujet de mission d’information, tout à fait. De mon point de vue, il serait dommage de ne pas faire cette démarche d’analyse et de mise en perspectives, pour avoir un retex, savoir ce qui se passe, et va se passer. Mais cela ne sert à rien de le faire dans l’urgence.
Des Français ne voient la traversée des crises que grâce aux militaires. Le SNU remet les choses dans l’ordre, l’esprit civique de la nation appartient à tout citoyen, pas seulement au soldat, ou celui qui porte les armes, c’est un destin collectif.
Mes infops et photo sur le twitter @defense137.