mercredi 6 janvier 2021

Les interrogations de Bounti

Attaque informationnelle des GAT, qui profitent de l'aubaine ? Ou vraie erreur de Barkhane (de tir ou

de com) ? Depuis dimanche, des réseaux sociaux maliens assurent qu'une frappe de Barkhane a tué plusieurs dizaines de civils réunis pour un mariage à Bounti, près de Douentza (la zone où trois hommes du 1er Chasseurs sont morts). Aucune photo ou vidéo de ce carnage n'a pourtant été diffusée pour attester de la réalité de ces accusations. Aucun témoin impartial n'a pour l'instant pu accréditer cette version non plus, même si des sources locales affirment que des civils ont été pris en charge dimanche. La Minusma a ouvert une enquête, a affirmé un porte-parole mardi. Pour l'instant, l'EMA n'est pas sur cette ligne, récusant tout erreur.

L'affaire faisait du bruit sur les réseaux sociaux dès dimanche soir, ce qui a amené des journalistes à Paris à chercher à vérifier la véracité de ces éléments. Dès 7h30 lundi, des mails ont donc interrogé le minarm, notamment l'état-major des armées. Face à une croissance des citations sur les réseaux sociaux (assez typique dans les attaques informationnelles contre Barkhane qui sont régulières), le minarm n'a pas réagi jusqu'à cet après-midi, en répondant à l'AFP, sans pour autant répondre aux médias qui l'avaient interrogé lundi dès 7h30. Par tradition, le minarm répond rarement aux attaques informationnelles ou aux fake news, une tradition qui lui a déjà joué des mauvais tours, notamment en 2020. 36h pour répondre avec aussi peu d'éléments sur ce qui au final est donc, dans l'esprit de l'EMA, une attaque informationnelle (puisqu'il assure ne pas avoir commis d'erreur), c'est long, très long, alors que le cycle de l'information, en 2021, ne repose pas sur des heures, mais des minutes. En démentant dès dimanche les accusations, Paris se serait évité de gros soucis mardi. Car dès dimanche soir, lundi matin au plus tard, Paris avait, de surcroît, tous les éléments sur la frappe. Le délai de réponse interroge donc, mais le mode de réponse aussi.

Pour notre part, nous avons pu avoir les explications de l'EMA que ce soir (36 heures après les demandes d'éclaircissements de lundi matin). Son porte-parole assure que la frappe répondait aux règles d'engagement (ROE) de Barkhane mais il n'a produit que des éléments oraux. Aucune expression écrite n'a accompagné cette première et tardive réaction alors qu'un communiqué de presse était annoncé cet après-midi. Il n'est finalement pas sorti

Les ROE de Barkhane ont évolué en 2020, permettant un bilan exceptionnel d'environ un millier de djihadistes neutralisés en un année. Le chiffre stabilisé est réservé aux chefs d'états qui se réuniront au Tchad en février, 13 mois après le sommet de Pau. L'essentiel, 80% est le fait de l'aviation : les drones d'abord, la chasse, puis bien plus loin, les hélicoptères. Les forces spéciales ont aussi leur écot (notamment avec leurs hélicoptères Tigre et Gazelle du 4e RHFS).

L'EMA assure que dimanche, le ciblage a conclu une séquence renseignement de plusieurs jours (ce qui n'est pas très commun) et "qu'un moyen ISR" était présent au-dessus de Bounti dimanche, vers 15h, avant la frappe de la patrouille de Mirage 2000. La nature de ce moyen n'a pas été précisée : drone Reaper, ATL2 ou ISR léger. Leurs capacités d'appréciation de situation ne sont pas vraiment identiques.

Le porte-parole détaille : "plusieurs bombes" ont été larguées sur la zone. Mais la nature de la frappe (sur un bâtiment, ou en espace ouvert) n'est pas précisée. "Aucun hélicoptère français n'a participé à une frappe" ajoute-t-il, mais il ne sait pas si un ou plusieurs hélicoptères ont survolé la zone ensuite. Aucune erreur n'a été commise, d'après l'EMA. "Plusieurs dizaines de GAT" ont ainsi été neutralisés, mais "moins d'une cinquantaine". Pour autant, en général, de pareilles frappes sont en général accompagnées d'une communication proactive de l'état-major (ou de la minarm) qui se défendait en octobre d'un quelconque "body count".

Ici, pas de point presse, pas de communiqué, jusqu'à ce que la pression des réseaux sociaux et des médias parisiens oblige à un filet d'expression bordé.

La solution, pour éviter toute forme de malentendu, consisterait évidemment à déclassifier la bande vidéo filmée par le "moyen ISR" (en simultané en infrarouge et en visible, et sans doute en couleurs) évoqué plus haut, et la diffuser en guise de bonne foi. On y verrait forcément les grossissements de champs, les visions globales, le genre de vérifications qui précèdent pareille frappe. L'EMA assure que le comportement des individus les classaient comme GAT, récuse la présence de civils, mais ne précise pas si des armements, des concentrations de motos ou de véhicules typiques ont été aperçus.

Dans leurs chasseurs, les équipages (1) doivent prendre leur décision avec des jumelles, ou sur un moniteur monochrome de la taille d'un gros paquet de cigarettes. C'est le cas depuis que le Mirage 2000D existe (26 ans). Des moyens aussi fragmentaires ne permettent pas forcément de pouvoir réaliser une analyse péremptoire. D'où l'externalisation de l'observation fine au moyen ISR mieux doté en capteurs, et sur zone bien avant la chasse. Un JTAC ou un GATA malien au sol peuvent compléter l'observation. Il n'en est pas question dans le récit de l'EMA.

(1) des Mirage 2000C monopilotes sont arrivés à Barkhane fin décembre, ils sont toujours panachés avec un Mirage 2000D car ils ne possèdent pas de pods de ciblage. Certaines patrouilles peuvent être homogènes : elles alignent alors deux pods, souvent un Atlis (vidéo de jour) et un Damocles ou un PDLCTS (capteur infrarouge). De l'aveu même de ceux qui les exploitent, ces pods ne sont pas faits pour l'appui-feu rapproché (ce qui posait déjà problème en Afghanistan et posait la responsaibilité sur le JTAC), il faut donc travailler à la jumelle quand c'est possible, ou se reposer sur... un "moyen ISR".  

Mes infops et photos sur le twitter @defense137