vendredi 20 mai 2016

Adieu René

C'est le musée des fusiliers et commandos qui l'annonce : le vétéran du 1er BFMC René Rossey
n'est plus. Il était le benjamin du 1er BFMC lors du débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, à Colleville-Montgomery : engagé en mai 1943 à Beyrouth, il avait fêté ses 18 ans, sur le front normand, le 30 août, à Beuzeville.
René était pied-noir, disant souvent en rigolant qu'il était "tunisois". Il avait été marqué par l'envie d'être utile à une métropole qu'il n'avait jamais vu de près : en juin 1944, il avait tenu sa place au milieu des plus anciens, même s'il reconnaissait qu'il avait eu la "baraka", pendant toute sa vie sous l'unifiorme. Voilà ce qu'il m'avait raconté pour mon livre consacré au bataillon :
"Toute l’artillerie d’Amfreville nous tirait dessus parce qu’on progressait vers Bénouville, Pegasus Bridge… On a mis cinq heures, dans ces eaux-là. Quand on est arrivés à Amfreville, il devait être sept heures et demie du soir. Je me rappelle très bien, les Anglais nous avaient dit qu’il fallait faut faire tout de suite des trous de 50 cm pour mettre les sacs, de se mettre dedans, et de pas se manifester. Il ne fallait pas se faire détecter. Moi qui ne connaissait pas la France, ça a été ma première nuit sur ce sol. Quand j’y pense, je me dis « Purée, je suis venu de si loin pour me coucher, me cacher, c’est bizarre ce qui peut arriver dans la vie ». Mais ça s’est bien passé pour moi, pas mal ont morflé, ont été blessés, moi j’ai eu de la chance. J’ai été légèrement blessé en allant au casino puis ça a bien marché. Je n’avais pas encore 18 ans et tous les jours, je me disais qu’un sniper allait me régler mon compte. Quelque chose m’est resté, c’est l’église d’Amfreville. Elle est gravée. On avait peur car les premiers jours, les snipers venaient partout, des haies tout autour d’Amfreville, on ne savait plus de quel côté se mettre, est-ce qu’ils vont nous avoir à gauche, à droite, derrière. Je pense qu’on était tous bien entraînés, on savait ce qu’on faisait, on le savait bien".
Son dernier combat, comme à plusieurs de ses camarades, fut celui pour la mémoire, auquel il a associé son petit-fils, le réalisateur Cedric Condon. A 12 ans, il l'avait emmené avec lui, aux commémorations. Cédric en tirera un documentaire en 2004 et un téléfilm en 2014.
A chaque fois, René n'oubliait pas de rappeler que les Britanniques -lui disait les Anglais- les avaient accueillis, équipés, formés.
 En 2004, René avait fait ce pélerinage mémoriel à Achnacarry (Ecosse), où se déroulait pendant la guerre le stage commando. Avec quelques confrères journalistes et des commandos marine d'active, on avait eu la chance d'en être.
Il n'avait eu, de cesse, dès lors, que de rappeler l'engagement de ses frères d'armes, dont la plupart étaient déjà morts.
Je lui laisse la conclusion : "Je ne regrette plus rien. Tout le monde me dit, « tu es parti, tu aurais pu te faire tuer, tu n’avais même pas 18 ans ! ». Le contexte de l’époque était de libérer la France. J’aimais la France, ma patrie, et j’y allais. Je ne disais pas, « tiens les autres vont faire le boulot ». C’est pour ça que je suis parti, sinon je serais resté tranquillement chez moi à bouffer des olives, et du raisin, et des dattes. Je suis parti pour ça. Pas pour pavoiser, non, non." 
Il ne reste plus que six vétérans, après la mort en 2016 de François Andriot et de Louis Bégot : Paul Chouteau, Léon Gautier, Hubert Faure (le plus âgé des six, qui va sur ses 103 ans), Jean Masson et Yves Meudal et Jean Morel.


René Rossey devant le vrai Pegasus Bridge, à Ranville, lors du tournage du téléfilm réalisé par son petit-fils, Cédric Condon. (Photo Jean-Marc Tanguy)
 Le vrai René Rosset livre ses ouvenirs à l'acteur qui le campe en 2013, dans le téléfilm tourné par son propre petit-fils (à droite), Cédric Condon. Sous leurs pieds, le vrai Pegasus Bridge, aujourd'hui visible au musée de Ranville. (Photo Jean-Marc Tanguy).
René Rosset aux commémorations du 6 juin 2014. Malicieux, truculent et parfois grave, René Rosset refusait le qualificatif de héros. Il avait juste fait son devoir, mot qui revenait le plus souvent dans la bouche des vétérans du 1er BFMC. (Photo Jean-Marc Tanguy)
Chaque année, les vétérans cherchent à faire vivre leur mémoire, en participant à un rallye avec les collégiens du département, sur leurs traces de 1944. Un moment à ne pas rater. (Photo Jean-Marc Tanguy)
Les vétérans ont longtemps vécu dans l'ombre, ce qui vaut aussi pour les décorations, que par humilité, ils n'avaient pas réclamées. Il aura fallu près de 60 ans pour que leurs opérations de 1944 soit mieux connues reconnues.