Tous les mots semblent avoir été soigneusement choisis dans "Opération Poker, au coeur de la
dissuasion nucléaire française" (Tallandier, 250 pages), un peu finalement comme dans l'horlogerie qui anime les forces aériennes stratégiques (FAS) depuis qu'elles assurent la veille nucléaire, en 1964. L'ouvrage, attendu en juin, vient finalement de sortir, quelques jours après le départ (prévu) de son auteur, le général Bruno Maigret, de la tête des FAS (1). Le colonel Amaury Colcombet, un pilote de transport, a contribué à l'écriture, et Hubert Védrine signe la préface.La première composante, historique, a traversé les modes, les coupes budgétaires (2), pour contribuer sans faille à la dissuasion, avec les SNLE de la FOSt (à partir de 1971), et une composante aéroportée d'opportunité, la FANu (née en 1978, pour opérations depuis un porte-avions). Opération Poker rappelle les "spécificités" des FAS, et la "complémentarité" avec la FOSt, le tout sans sans (trop de) jargon, ce qui le rend compréhensible aux non-initiés, qui, par construction, sont plus nombreux que ceux qui savent. L'auteur revient sur le socle de la dissuasion, jusqu'à la page 184, avant de basculer dans le vif du sujet.
L'apport principal du livre réside en effet dans ce chapitre 7, le plus long du livre, qui amène des éléments sur la chronologie et les ressorts d'une opération Poker, l'engagement au plus proche possible du réel de ce que serait un raid nucléaire (évidemment sans tir réel, les vraies armes restant là où il est prévu qu'elles restent, jusqu'à sollicitation du président de la République). Les avions "abattus", de part et d'autres, continueront aussi leur vie dans l'armée de l'air mais les arbitrages des scores de ces tirs et quelques autres détails contribuent à un score final, qui n'est évidemment pas anodin : c'est pourquoi ils ne sont pas évoqués et encore moins détaillés dans ce livre.
Les lecteurs peu familiers seront peut-être surpris par la mobilisation très large d'acteurs de l'armée de l'air : de fait, quasiment toutes les bases aériennes contribuent avec leurs aéronefs, y compris les unités héliportées de sauvetage. Les FAS y apparaissent comme intégratrices de capacités, comme les AWACS, ou les Mirage 2000-5. C'est aussi ce qui permet, dans des opérations conventionnelles, une telle présence des FAS, qui auraient tiré une bonne partie des Scalp-EG en opérations (Libye, Levant) ou leur participation aux vols longs (au-delà des 12 heures), permis depuis 1964 par le couple tanker-chasseur.
Sans surprise, malgré un souci de pédagogie louable, l'essentiel du Poker reste tu, puisque très vite, on rentre dans les sujets sensibles. Néanmoins, expliquer le Poker, et même le rendre visible, c'est aussi contribuer d'une certaine façon à la dissuasion.
D'où l'enjeu qu'il se tienne à l'heure. Même au pire de la crise de disponibilité des tankers (il y en a eu quelques unes), les avions les plus vieux de l'armée de l'air (arrivés en 1964...), en plein covid-19, ou en surchauffe opérationnelle (puisque les unités des FAS contribuent largement aux opérations extérieures), le Poker s'est toujours tenu dans le créneau défini. Et se terminant, pour les chasseurs du raid nucléaire, par une tournée de crêpes, une fois posés sur leur base de départ.
(1) commandement désormais assuré par le général Jérôme Bellanger. Les FAS sont un des deux grands commandements opérationnels de l'armée de l'air, avec le CDAOA.
(2) qui ont, entre autres, fermé le plateau d'Albion de l'armée de l'air, terminé le programme Hadès de l'armée de terre, et réduit le nombre de SNLE à quatre, dont un en patrouille permanente.
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