dimanche 6 septembre 2015

Frappes en Syrie : quelques détails qui comptent

L'info a fuité dans le Monde de samedi : la France pourrait désormais bombarder en Syrie, ce qu'elle
s'était refusée depuis l'entrée en action des Rafale des EAU en Irak, il y a un an (1). Le président pourrait en parler demain lors de sa conf de presse, à 11h.

Rappelons qu'aujourd'hui ces frappes aériennes françaises sur l'Irak, quotidiennes pendant tout l'été, sont la principale concrétisation de l'action militaire en Irak, dans la lutte contre Daesh. Hors des lignes de confrontation, des militaires français ont aussi formé des combattants réguliers et irréguliers irakiens. Et, c'est de notoriété publique, des forces spéciales en volume conséquent opèrent également dans cette région.
Dès le lancement de Chammal, la France s'est interdit de tirer en Syrie, même s'il est manifeste que c'est de là que Daesh tire l'essentiel de ses richesses et de ses volontaires.
Les Rafale des EAU, puis les avions du groupe aérien embarqué ont donc joué à la fois la carte des frappes et des dossiers de renseignement -la plus-value la plus évidente de la composante française à laquelle contribuent les Transall Gabriel. Dès la fin 2014, les Mirage 2000D de la 3e escadre de chasse se sont installés en Jordanie pour des missions de bombardement, permettant de raccourcir le temps perdu sur les transits.
L'autorisation de frappes en Syrie aurait plusieurs conséquences. Elles augmentent encore les risques rencontrés par les aviateurs dans leurs missions : il y a les défenses sol-air détenues par Daesh, mais aussi celles du régime. Elles permettent de traiter les causes de Daesh, alors que frapper en Irak ciblait essentiellement l'expansionnisme de cette armée terroriste.
Les frappes restent nécessaires en Irak. S'il faut aussi frapper en Syrie, il faudra donc sans doute plus d'avions engagés.
Et d'abord, plus de tankers, or la France est à la peine dans ce secteur, où les avions ont été livrés en... 1964. 
Ensuite, il faut plus de chasseurs, car dans l'état actuel de la situation en Irak, il est difficile d'y réduire la cadence des frappes. Les Rafale des EAU, moins utilisés qu'au début de Chammal, constituent une marge de manoeuvre, mais ils sont aux EAU. Les utiliser régulièrement pour des frappes en Syrie -depuis la France ou les EAU- consommerait prématurément le potentiel des précieux tankers évoqués plus haut.
Autre possibilité, renforcer les moyens déjà présents en Jordanie, où la marge de manoeuvre pour accueillir d'autres avions est assez importante. Mais faut-il les trouver. L'armée de l'air a dû rameuter des Mirage 2000C (à Barkhane) et des Mirage 2000NK3 (à Chammal) pour faire souffler ses équipages de Mirage 2000D, qui empilent sans discontinuer les missions depuis 1999 (le Kosovo) : ensuite ils ont opéré en Afghanistan, en RDC, en Libye, au Mali (où ils sont encore), et depuis la fin 2014, sur l'Irak. Ces adaptations "en conduite" illustrent assez cruellement les entailles successives dans les parcs de chasse et dans son format humain.
Avec 90 Rafale qui servent à former les clients étrangers et les pilotes français, mais aussi à faire la police du ciel, les missions de Barkhane et Chammal, la dissuasion nucléaire et à rester dans le coup (2), l'armée de l'air n'a pas vraiment de marge de manoeuvre. Actuellement, 10 Rafale sont engagés en opex, aux côtés d'une vingtaine de Mirage 2000 de tous types. Ces 30 chasseurs correspondent à environ 15% du parc théorique de l'armée de l'air. Mais en fait beaucoup plus puisqu'il faut réparer ceux qui rentrent d'opérations, et en préparer pur la relève suivante. Une fois connue la disponibilité moyenne, on a compris qu'il vaut mieux ne pas déclencher une opération de plus nécessitant des chasseurs.
L'autre ressource, c'est d'utiliser le porte-avions dans son coeur de métier -la guerre contre un pays en frange côtière-. C'est devenu un secret de polichinelle, le Charles-de-Gaulle sera à nouveau en mer en octobre, mais dans quelle mer ? La Méditerranée, non loin de ses bases logistiques, mais dans ce cas, dans une orientation très syrienne ? Ou, comme en début d'année, dans le golfe persique, donc plutôt à nouveau orienté sur des missions irakiennes.Dans tous les cas, la marine aura réussi un petit challenge : assurer deux créneaux distincts d'opérations aériennes sur un même théâtre séparés par six mois.

(1) Les Rafale avaient déjà failli bombarder en Syrie en août 2013. Le raid avait été stoppé quatre heures avant le décollage.
(2) Deux Rafale du centre d'expertise aérienne militaire (CEAM) s'envolent le 15 septembre pour l'exercice Bold Quest, aux Etats-Unis, traitant du combat aéroterrestre.