Ce soir, le magazine Le Point diffuse un sondage sur les opérations au Sahel. Les chiffres ne sont pas
bons pour l'opération Barkhane. Ce média a demandé une réaction au minarm, qu'il n'a pas obtenue.Je ne fais pas partie de ceux qui convoquent les sondages quand cela les arrange, mais les réfutent quand ils ne servent pas le propos.
Je ne crois pas aux sondages, pour tout dire. Par contre je crois que les politiques y croient, eux, et que ce sondage va donc les inciter à revoir bien des aspects des opérations au Sahel. C'est même un virage. On le sait, en dessous d'un pourcentage de cette modélisation de l'opinion que sont les sondages, les politiques n'y croient tout simplement plus. Et plient bagage.
C'est donc un mauvais coup pour le sacrifice et l'engagement des militaires, qui lui, n'a varié d'un iota. Certes, les militaires déployés au Sahel, les blessés, les familles des 53 morts dont la liste figure en bas de la page d'accueil de ce blog, tous ont pris en pleine face la libération malvenue de 200 djihadistes (combien ont depuis repris les armes contre ces militaires français et ceux des forces partenaires). Ou encore la perte de leurs frères d'armes, cinq en une semaine.
Mais ils n'ont pas baissé les bras. Ce sondage, eux aussi le commenteront dans leur VAB, dans leur piaule, devant leur assiette. "Tout ça pour ça...". La phrase rituelle en pareil cas. Comme pour les 200 djihadistes libérés. On peut se battre sans le soutien du pays, l'avaient-ils d'ailleurs ? Plutôt une indifférence polie.
Par contre, on ne peut se battre sans les sondages avec soi, car dès lors, le politique a les yeux dessus.
En fait, en décembre 2019, après la collision d'Indelimane, les drapeaux français qui brûlaient à Bamako, le politique avait déjà cette crainte, et ne s'en cachait même plus. Un conseiller technique, incroyable aveu (!) l'avait même reconnu lors d'un briefing face à une presse médusée : le sommet de Pau était une sorte de référendum sur Barkhane, auxquels les chefs d'état étaient convoqués. Et à travers eux, leurs opinions publiques (française comprise) : car déjà, l'exécutif sentait le soutien à Barkhane commencer à faiblir.
Un surge a donc été envoyé au Sahel. La stratcom Barkhane a dû modifier sa vision du sujet, envisager un envoi massif de média, 20 d'un coup pour une opération à large spectre. Puis le covid-19, une première fois, puis une deuxième, ont empêché cette opération. Sans pour autant la relancer. Parfois le covid a bon dos.
Car à la place, le narratif s'est asséché et les vrais morts, les réalités n'ont pas vraiment été livrées. Il fallait manifestement attendre le sommet du mois prochain.
Car la France a fait la guerre comme jamais en 2020, à la cadence d'une grosse centaine de djihadistes tués tous les mois au Sahel, dans un silence assourdissant de la stratcom. Faute de ne pas l'avoir dit, d'avoir euphémisé cette guerre contre ceux qui veulent terroriser le Sahel, et à travers ce dernier, la France, la France a manqué son rendez-vous avec l'histoire. Au final, cette stratcom qui devait gagner les coeurs à Paris les a perdus. En délais, en validations, en précautions superfétatoires, en abstractions, en non-réponses : le temps a gagné, ce soir, le sondage, auquel je ne crois (car je crois qu'ils sont encore bien plus nombreux les Français à ne pas croire en cet effort, qui a coûté 53 vies et désormais pratiquement un milliard d'euros annuel rien que surcoût opex...) a réglé le sort de l'opération Barkhane.
La stratcom a perdu, là où les armes avaient gagné, en 2020, en tout cas. Une leçon qui, assurément, comme les autres en matière de combats dans les champs immatériels, ne sera pas retenue.
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