Le LCL Laurent Catelain a été grièvement blessé par un IED dans le Parwan, le 4 août 2011, alors qu’il effectuait sa reco avant son mandat d’OMLT. Il publie un livre incontournable sur la blessure (« Amputez docteur », Editions Mélibée) dans lequel il raconte trois ans de combat dont, celui, encore étonnant, contre les systèmes d’indemnisation
Comment en êtes-vous arrivé à écrire ?
J’étais resté dans le coma, et il fallait écrire avant d’oublier. Puis c’est devenu thérapeutique, pour passer mes colères. Mes amis, mes médecins, m’ont encouragé à le faire. J’ai d’abord écrit un premier plan dont je n’étais pas content, puis un deuxième, celui qui a donné le livre. Je l’ai écrit entre février et juillet 2014 puis il a fallu un an pour le corriger.
Quelles réactions votre livre a suscité chez vos camarades militaires, et parmi les civils, qui ne connaissent pas vraiment ce que vous vivez ?
De la part de mes camarades, j’ai eu un super retour. Je suis assez content de moi. Mais tout le monde est surpris par l’intensité des douleurs qu’on a vécues avec mon épouse qui a toujours été à mes côtés. Je ne laissais rien transparaître. Ils ont mesuré la force de cette souffrance avec le livre.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres blessés qui sont confrontés au même choix d’amputation que vous ? Et aux centaines de blessés civils des derniers attentats ?
Oui ce livre s’adresse aussi à ceux qui doivent prendre une décision. Donc il s’adresse aussi aux centaines de blessés de vendredi. Les blessures par balles, c’est toujours moche, il y a aura beaucoup d’amputations. Les balles amènent dans le corps aussi des germes, qui infectent les blessures. La décision de l’amputation doit se prendre à un moment. On fait un cheminement thérapeutique : est-ce qu’on passe à la vitesse supérieure et on accepte l’amputation avec une prothèse, ou de rester avec un membre mort, et des opérations qui se succèdent.
Comment avez-vous été appareillé ? Avec les fameuses prothèses bioniques ?
Non, cela ne concerne pas mon type d'amputation, j’ai une prothèse en carbone et je veux rester rustique.
Vous continuez à faire du sport ?
Les mêmes qu’avant ! Tout ce qui peut se faire en montagne : randonnées, escalade, vélo, parapente. Je ne fais plus de piscine car c’est assez compliqué à gérer matériellement, il faut enlever la prothèse, prendre un fauteuil pour aller jusqu’au bain, etc… Je fais tout comme avant, il faut juste avoir une prothèse adaptée aux sports que l’on pratique.
Vous êtes en contacts avec d’autres blessés ?
Tous les blessés de la brigade de montagne, et ceux que j’ai rencontrés pendant mes hospitalisations à Percy. On se donne beaucoup de conseils les uns les autres et c’est essentiel pour le 3e combat, celui contre l’administration, dans lequel je suis encore. Il n’y a pas de guichet unique. J’ai dû prendre un avocat pour avoir gain de cause avec mon assurance militaire. Personne n’est content du système, c’est le problème de tous les blessés, chacun doit prendre un avocat. Les valides n’arrivent pas à comprendre nos problèmes, ce qu’on fait mieux entre blessés.
Très vite, le blessé veut redevenir valide. Je me considère comme valide aujourd’hui, j’ai contracté une réserve citoyenne à Chamonix, à l’EMHM, au sein de la DEP, car je ne pouvais pas être réserviste opérationnel.
Vous revoyez-vous reprendre une activité complète ?
Je veux m’occuper, mais plus travailler. J’ai une bonne retraite. Je veux m’impliquer dans la vie de la société, ce qu’on ne peut pas faire quand on est militaire. Peut-être prendre un mandat électif local, m’engager dans une association. Mais je veux rester libre de ce que je veux faire.
Comment votre famille a traversé cette épreuve ?
Mes enfants étaient déjà grands quand j’ai été blessé. Ils m’avaient déjà vu à l’hôpital, suite à des blessures de montagne, de parapente. Mais avant de partir pour ce troisième Afghanistan, on avait eu une prémonition. L’amputation a été une décision douloureuse à prendre, mais les 400 premiers premiers mètres que j’avais faits avec une canne, en 2013, quand j’avais repris le travail, avaient été une épreuve.
Vos voisins, vos concitoyens connaissent votre histoire, quel est leur regard sur vous ?
Certains, oui. Mais quand je porte un pantalon, personne ne voit que j’ai une prothèse. Des camarades ont appris ce qui m’était arrivé suite à un article dans armées d’aujourd’hui. Le problème avec les blessés militaires est qu’on est cachés, soit disant pour nous protéger.
Votre témoignage ressemble à celui d’un autre blessé de la brigade, Jocelyn Truchet, ce que vous y vivez vous prépare-t-il mieux à ce qui se passe après la blessure ?
Je pense que la montagne nous forge un caractère, une volonté, un niveau physique. On se remet en cause tous les ans. La montagne, c’est dur. Et ça forge. C’est comme la mer, on est face à l’immensité.
Vos subordonnés sont déployés actuellement sur tout l’arc de crise : vous gardez un œil sur eux ? Vous êtes fier de leur niveau ?
Je reste en contact avec mes équipes. J’ai écrit une petite page de l’unité, que j’ai remanié à ma patte quand je l’ai pris, en améliorant le niveau en haute montagne, grâce au GMHM, au combat, avec le GIGN, et au renseignement. Je regrette juste qu’on ne l’utilise pas mieux.
Vous avez pu refaire votre ascension du Mont Blanc ?
Je m’y suis entraîné cet été, ce sera pour l’an prochain.