Doit-on réduire la fâcherie franco-américaine en Afghanistan, évoquée par Secret-Défense, à la question de la main supply road (MSR) ? Le sujet est, de fait, plus complexe, et la fâcherie pas forcément éteinte sur tous les points.
Tout part du fait que les forces américaines ont une approche assez statistique des opérations, faite de reporting, de km2 conquis, d'insurgés dessoudés, qui n'est pas totalement inscrite dans notre culture (sous cette forme en tout cas). Les méthodes non plus, les forces américaines recourrant plus largement au feu (1).
Comme ce blog avait pu l'expliquer, l'ouverture de la MSR figurait en tête, avec une date fixée (la date importe peu, disons que c'était au printemps, et que c'est passé), du plan de campagne de la brigade La Fayette.
Sans jouer sur les mots, cet objectif n'a pas été totalement atteint, en tout cas, pas du point de vue américain. Parmi les arguments soulevés figurent la fameuse "pause opérationnelle" de janvier, qui a retardé des opérations majeures. Et a constitué un non-sens pour les Américains, pressés par leur calendrier national (nous avons, rappelons-le, le même problème).
Malgré la mise sur pied, fin janvier, de l'opération Endurance (permanente) en vallée de Tagab, cette zone reste constestée. Le courage et l'engagement des soldats n'a rien à y voir. La sociologie particulière de la vallée de Tagab, très hétérogène, rend les résultats durables très difficiles à obtenir, tout comme le fait que les effectifs français y sont toujours notoirement insuffisants (2). Ce que personne ne souhaite reconnaître officiellement pour des raisons assez évidentes. La saisonnalité de la verdure rend les armes quasiment inefficaces pour plusieurs mois. Sauf à prendre le risque de tir fratricide et de morts de civils : l'un et les autres sont déjà arrivés, olibgeant à freiner les feux.
Rappelons que la France n'est, en Afghanistan, que second rideau, le premier étant constitué par l'ANA et l'ANP. Pour dire les choses de façon euphémisée, disons que l'une et l'autre sont encore trop jeunes pour pouvoir obtenir des résultats, y compris sur la sécurité immédiate de la route (3). Tout repose donc sur une brigade française de 2.400 hommes (et quelques femmes) : pas de quoi établir un maillage impérméable.
Le fait que le district de Surobi ne soit pas transmis, comme prévu, aux forces afghanes oblige la brigade La Fayette à y laisser des forces, qui ne sont pas engagées en vallée de Tagab. Pour des raisons évidentes de tactique et de diplomatie, la France ne détaille pas le volume de forces du BG Surobi déjà déployé en vallée de Tagab (c'est Richelieu qui assure l'opération Endurance). L'appoint de deux POMLT, précisément chargés de travailler avec la police afghane autour de cette route est aussi demandé, même si le patron de la TFLF affirmait le contraire, jeudi, lors d'un point avec la presse française.
Parmi les éléments qui semblent avoir grâce aux yeux de notre commandement américain figurent précisément les résultats de nos gendarmes, qu'il ne faut pas forcément limiter qu'aux seuls POMLT.
(1) sur ce point, les choses évoluent : le patron de la brigade La Fayette, le général Jean-François Hogard, n'a pas contesté le volume de feu de la dernière opération d'envergure, Eternal Blacksmith (220 coups de 155 mm), et me l'a même justifié : "il est hors de question de faire courrir des risques inutiles à mes hommes. Dès que je suis sûr que je ne fais pas courir un CIVCAS (dommage collatéral, NDLR), j'utilise mes feux. (...) L'artillerie est dissuasive, par son onde de choc. Et quand le coup de 155 mm part, il n'est pas entendu de celui qui va recevoir le coup, contrairement au mortier de 120 mm qui permet à l'insurgé de se mettre à l'abri".
(2) même si le précédent CEMA avait distillé quelques sections d'infanterie en renfort, la limitation à 4.000 hommes (largement dépassés dans les faits) en Afghanistan a plafonné l'effort tactique sur le terrain. A une brigade de 2.400 hommes, dont un gros millier de fantassins.
(3) la fameuse route devait être parsemée de postes de contrôle pour la police. Le sujet avance, mais semble-t-il aussi, pas assez vite. Rappelons que c'est lors d'une reconnaissance d'un de ces sites qu'est mort le capitaine Dupin (2e REG.)