mardi 15 mars 2022

Ukraine : l'oeil des journalistes et de la députée Mauborgne

Antoine Esteve (I-Télé), Eric Biegala (service étranger de Radio France, dont France Info, France Inter et France Culture) reviennent d'Ukraine. Jefferson Desport (Sud Ouest) parti en urgence sans kit balistique est resté en Roumanie, face aux limites de l'exercice professionnel de l'autre côté du Danube. Sereine Mauborgne, députée LREM du Var, commissaire de la défense à l'assemblée nationale, infirmière et rapporteure des crédits de l'armée de terre et sur l'opération Barkhane, est aussi la présidente de la commission des droits de l'homme à l'assemblée de l'OSCE. Elle a passé ce weekend 24 heures en Pologne, à la frontière avec l'Ukraine (des vidéos montrent la situation humanitaire sur son compte twitter). J'ai échangé avec eux en visio la semaine prochaine et encore à l'instant : ces échanges en visio doivent aider les journalistes qui partent pour cette zone à partir mieux dotés en informations et en réflexe (un programme d'urgence mis en place dès le 24 février). Alors même que le Monde l'a rappelé aujourd'hui dans un article d'Aude Dassonville, la situation des journalistes en Ukraine s'est vite dégradée. Un deuxième journaliste est mort aujourd'hui, plusieurs ont été blessés, et on reste sans nouvelles d'autres. Le ciblage des journalistes est réalisé sans doute par la Russie, même si à ce stade, les preuves ne sont pas documentées. Le premier journaliste a été tué ce weekend par une balle dans la nuque, hors la protection balistique.
J'ai lancé un appel le mois dernier avec Laura-Maï Gaveriaux (lire mon twitter) pour doter les journalistes en protections balistiques et en trousse individuelle du journaliste, avoir le réflexe de l'assurance zone de conflits, et pour accélérer la mise sur pied d'un stage zone hostile. L'association des journalistes de défense (AJD), créée en 1979 vient d'acquérir deux kits balistiques, pour la première fois de son histoire : c'est une des illustrations de la prise de conscience en cours. Le bureau a pris cette décision en urgence le 5 mars. Un distributeur français qui ne cherche pas la célébrité a assuré la livraison dans des temps records, malgré la pénurie. Le même avait déjà équipé plusieurs média sur les conseils d'un des membres de l'AJD, et LMG a pu ainsi acheter des kits balistiques sur ses propres derniers. Une action a été lancée sur les réseaux sociaux pour faire appel à la générosité.
Eric Biegala est expérimenté, il a fréquenté la zone de guerre depuis la Bosnie. Il rappelle l'importance du ravitaillement en nourriture dans la zone où il a opéré, mais aussi du carburant. Parce qu'il n'est pas possible d'interviewer en radio une femme qui vient de perdre son enfant, je ne porte pas de protection balistique à ces moments-là explique-t-il. Une position défendables : encarapaçonnés, les journalistes passent pour des combattants. Et cela n'évite pas les morts, on l'a vu plus haut.
Le grand reporter du service public insiste aussi sur l'importance des transmissions. Afin de ne pas donner d'informations au adversaires des journalistes sur place, je ne livrerai pas plus d'informations.
La sécurité des communications, mais aussi le viol de guerre, le NRBC, les retex des journalistes, c'est l'initiative de LMG pour sensibiliser une dizaine de journalistes qui veulent partir vers la zone de guerre, ou y sont déjà. Les Français sont sans doute 200 en Ukraine, dont 100 référencés par le quai d'Orsay. De nombreux journalistes passent sous le radar du centre de crise, car indépendants.
Pour Antoine Estève, rentré il y a quelques heures, il est important de transmettre à ces jeunes pousses, mais aussi aux vieilles (votre serviteur) les meilleures pratiques. Lui aussi insiste sur le ravitaillement nécessaire, le comportement à avoir. Il échange avec le grand reporter photographe Patrick Robert, blessé en Afrique par le passé. Tous deux reconnaissent la nécessité d'être autonome en véhicule. Problème, le carburant manque.
Jefferson Desport évoque les difficultés de logistiques dès la Roumanie, dès qu'on s'approche, en fait, de la frontière ukrainienne. Il insiste sur la nécessité de la préparation : il a dû partir sans préavis pour la Roumanie, accompagnant la minarm et le CEMA lors de leur visite, il y a 8 jours.
A ce stade, toutes les rédactions, incitées à la prudence par les autorités françaises, rapatrient leurs équipes d'Ukraine. Car la France a avoué son incapacité à aller les chercher en cas de problèmes.
Les media sont face à la responsabilité, mais nous observons tous la baisse de présence des actus ukrainiennes, et la montée en puissance des sujets sur le scrutin présidentiel. Un autre évènement non prévu pourrait encore éclipser la guerre en Ukraine. C'est un mécanisme assez courant.
Il suffit de visualiser les images tournées par Sereine Mauborgne ce weekend à la frontière ukrainienne pour comprendre. L'élue OSCE, invitée avec une délégation par les autorités polonaises, constate les efforts mis en place par la Pologne pour accueillir ce flot, dans des très bonnes conditions, y compris dans des zones très reculées.
L'infirmière constate par contre une "omniprésence des uniformes" à proximité des zones occupées par les réfugiés, ce qui peut contribuer à alimenter une forme de tension (...) Je m’attendais à voir une espèce de désordre, tout est bien cadré partout, même dans une petite gare loin de la frontière et des grandes villes. A 100 km de la zone de guerre, même dans les petites gares, on trouve des représentants de l'organisation polonaise avec des volontaires et du stockage de produits première nécessité. Mais les toilettes ne sont pas prévues par exemple pour accueillir 400 à 500 personnes de plus que d'habitude dans une petite gare. Pour prendre en charge les mamans accompagnée de très jeunes enfants, la Pologne fournit des lit picot, certains proviennent aussi des stocks stratégiques européens. Les personnes âgées grabataires sont isolées pour leur intimité, comme les mères avec enfants. L'organisation est plutôt bien faite autour d’eux, même si la présence policière et militaire, avec des réservistes est assez oppressante. On trouve beaucoup de kaki dans les camps de réfugiés et les zones de transit. Les humanitaires et les autorités disent que la chose la plus utile, hormis eau et vivres, est de financer les ONG, avec des besoins de financer les grosses ONG qui apportent et achètent sur place du matériel. Les Polonais ont déjà beaucoup de poussettes pour les bébés, on trouve beaucoup de zones avec poussettes, partout dans les gares." 
"Il faut aussi financer les structures qui accueillent les enfants isolés, à Marioupol, des orphelins ont été évacués avant les gros bombardements. Pour eux, les besoins sont très spécifiques, avec du matériel, des psychologues, des psychomotriciens. On trouve déjà en Pologne beaucoup de volontaires européens. La coopération est plutôt bonne entre les ONG, Caritas en tête car elle est très implantée en Pologne, comme Four Kitchen, une cantine itinérante, à la mode locale 
Nous allons benchmarker avec les plus petits pays, car la réalité peut être différente de ce que nous avons trouvé en Pologne. Nous devons aller en Slovaquie, en Moldavie, en Roumanie pour voir comment ils se sont débrouillés."
Nous avons des inquiétudes sur les protections envers les mamans avec jeunes enfants. En Pologne, ils sont très protégés, les hommes n'ont pas le droit de rentrer dans les zones où ils sot accueillis. La Pologne prend de nombreuses précautions pour les protéger et les prendre en compte."
"On a déjà recueilli des témoignages de corruption active, pour accélérer les files côté ukrainien. On est aussi assez surpris de voir aussi peu de blessés, ce qui nous inquiète. Sans doute plein de gens avec des blessures légères pourraient voyager". 
"En France, nous devons aussi faciliter l'accueil des réfugiés ukrainiens. On a des petits sujets sur cet accueil dans les préfectures régionales seules habilitées à délivre le titre de séjour pour plusieurs semaines. C'est ce document qui déclenche les droits à l’aide médicale d’état, (AME) et la CADA (aide aux demandeurs d'asile). En PACA, c’est seulement à Nice que ce titre peut être obtenu, et il faut y aller en personne. On réfléchit sur comment faire venir ces services dans les préfectures de département pour que cela soit plus simple pour ces réfugiés. 
De nombreux réfugiés sont aussi venus au début avec leurs véhicules. Nous sommes en train de voir comment on va organiser leur couverture avec les fédérations d'assurances. Il faudra accélérer les procédures pour qu’ils trouvent du travail. En Pologne, la législation a déjà évolué, les Ukrainiens réfugiés sont déjà employables. Enfin, et c'est l'infirmière qui parle, il faut prendre en compte les médicaments pour les établissements ukiraniens. Ils doivent pouvoir continuer à recevoir des antibiotiques. Tulipe, qui collectent chez les pharmaciens a déjà réussi à déstocker de la morphine, ce qui n'est pas simple. Ils arrivent encore à approvisionner les hôpitaux à l’intérieur de l’Ukraine. 

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