Depuis que l'ombre de Wagner plane sur le Mali, la France est crispée sur ses ergots. Mais ce n'est sans
doute pas le pire : certes Wagner ponctionnera de l'argent dans les ressources d'un pays déjà très pauvre, assumera ses méthodes brutales (dénoncées en RCA) et mettra à bas des années d'efforts de la communauté internationale.Mais le pire serait encore le départ de Barkhane. Pas pour les finances publiques françaises : cela économisera près d'un milliard d'euros (un beau pouvoir d'achat, rien que dans le militaire, et je ne parle pas des hôpitaux ravagés en France qui en auraient bien besoin...), sans doute aussi des blessés et de vies de militaires français. Et la production de retex n'en souffrira pas. Le matériel arrêtera aussi de s'user trois fois plus vite que sur le territoire national. Notamment des objets aussi vitaux que les hélicoptères.
Certes, cela interrompra une forme de tourisme permanent, un flot composite faites de délégations, de media, d'audits, de chercheurs, de politiques, d'auditeurs, de contrôleurs d'audits et de contrôleurs des contrôleurs, et sans doute bientôt, des candidats à la présidentielle, que la force doit aussi gérer, en plus des opérations réelles. Mais ce départ de Barkhane plongera aussi le Mali, et très rapidement, tous les pays de la sous-région dans le chaos.
Pour ne pas l'écrire assez souvent, on risque sans doute de s'en rendre compte, trop tard.
Le convoi bloqué par le sentiment anti-français, au Burkina Faso puis au Niger l'a bien montré, tout n'est pas forcément affaire de manipulation des russes, d'opposants maliens : les Africains sont devenus majoritairement anti-français, et dans certains pays, férocement, dans une violence presque incompréhensible, sauf à se rappeler le bouc émissaire de René Girard. Le bouc émissaire pour fonder le consensus. L'hystérie collective pourrait même bien amener à des gros dégâts sur le prochain convoi terrestre (si un autre se hasarde sur la même route...)
On est très loin des habitants de Gao en liesse qui accueillaient les forces spéciales de la TF Sabre, comme la colonne Dronne à Paris en août 1944.
Tout cela est si loin que maintenant, le sentiment d'une perte de l'opinion africaine est acté à Paris. Pour éviter de s'aliéner aussi l'opinion locale française, le président de la République et chef des armées pourrait aussi frapper un grand coup, d'ici la fin de l'année. Dans un exercice de constat démocratique, juger que la présence militaire française n'est pas là pour faire changer d'avis aux Africains. Et plier les gaules du dispositif terrestre. Pour concentrer les moyens sur la 3D et les forces spéciales, depuis le Niger, pas trop mal placé. Ce n'est pas moi qui le dit, mais un ancien CEMAA et la ministre, aujourd'hui, la 3D concentre l'essentiel de l'attrition sur les GAT, avec ou sans appât terrestre allié à proximité. Les Reaper de la 33e ERSA sont responsables de 58% des frappes de 2020.
On peut trouver cela disproportionné, avec les efforts des forces terrestres pour prendre aussi leur part du bilan (et 100% des morts et blessés) mais c'est la réalité opérationnelle : au Sahel, la 3D et les FS se suffisent. Une réalité qui déplait, on le voit bien actuellement, la communication opérationnelle place la 3D et les FS sur le bord du chemin, laissant le boulevard aux seules forces terrestres conventionnelles. Là où il ne faut pas opposer les capacités, il faut les combiner au besoin.
Je l'ai écrit plusieurs fois, l'ère des gros bataillons de Barkhane est terminée. Place à des opérations chirurgicales qui avaient précédé cette même ère.
Comme c'est malheureusement souvent le cas, gardons-nous de réécrire l'histoire, voire de la réviser (on en voit quelques relents ici ou là). Sans Barkhane, le Sahel ne se serait pas mieux porté, mais des erreurs ont été commises, il faut les assumer et ne pas les répéter.
L'angélisme et la sous-estimation de l'adversaire sont courants. Pour ne pas avoir occupé le champ communicationnel pendant des années, Paris se retrouve une fois de plus pris à la gorge sans voie de sortie. Une erreur à ne pas commettre trop souvent. Bounti avait servi d'avertissement, et manifestement l'EMA avait juré de ne pas se faire avoir une deuxième fois. L'affaire du convoi au Burkina Faso s'est jouée dans les champs matériels et immatériels. Faute de suffisamment d'images et... d'acteurs impartiaux (journalistes par exemple), la victoire médiatique n'est pas au rendez-vous.
Là aussi une leçon qui n'a pourtant rien d'original : le rationnement des médias au Sahel est payé cash.
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