On le mesure bien avec le niveau de débat qui a été déclenché autour de l'article 24 de la loi de sécurité
globale, les pressions sur le travail de la presse, surtout quand elles sont maladroites, peuvent générer de très fortes réactions. Au minarm, depuis quelques mois, les armées rencontrent des cas croissants de demande d'anonymat (1). Il y a souvent une confusion entre ce qui est inscrit dans la loi et ce que réclament les militaires. Des navigants des forces aériennes stratégiques (FAS) par exemple se fondaient sur le décret d'anonymat pour refuser d'être filmé ou photographié. Plusieurs cas s'étaient déclarés avant septembre 2019, sans faire l'objet d'un systématisme de traitement par Paris. Les derniers cas ont été tranchés : le décret vise à ne pas relier un nom, un visage, des opérations, une unité. Il reste donc possible de photographier, et de filmer. Sans flouter.On l'a vu aussi, la mode a gagné une bonne partie des armées, au point de rendre parfois absurdes certains papiers faisant croiser le commandant Michel et le capitaine François, qui ont perdu leur noms (mais ne demandent pas, eux, à être floutés). Un cas récent a même concerné un officier général qui a demandé à ne pas être nommé. Manifestement, ces militaires ont donc envie de protéger leur vie privée, ce qui peut se comprendre, mais peut aussi se régler avec une auto-protection des données personnelles.
Manifestement, le sujet divise en interne dans les armées, et d'autant plus avec les officiers dont la carrière s'étale en toutes lettres dans de multiples documents en source ouverte à coups de promotions et de décorations. Les plus factuels dans les armées constatent d'ailleurs que le manque d'hygiène numérique des militaires, et très souvent des officiers (qui pensent à la deuxième carrière donc cherchent à se vendre, notamment sur les réseaux professionnels) est en fait le premier facteur de vulnérabilité. C'est évident, mais pas suffisamment redit, notamment par les spécialistes de la contre-ingérence.
Pour autant, et j'ai pu moi-même le constater à de très nombreuses reprises, cette hygiène continue à faire défaut.
Je le rappelle souvent, c'est grâce aux petits cailloux numériques laissés par le navire que j'avais pu reconstituer l'opération en Somalie, en janvier 2013, pour tenter la libération de Denis Allex. Transposé sur les individus, cela donne des résultats parfois étonnants. Aujourd'hui, la quasi-totalité des personnels d'un service de com bien connu ont un profil sur Linkedin avec photo et nom complet (pas de commandant Robert ou de lieutenant Emilie). Aucune consigne n'oblige ces personnels à le faire : or c'est ce service qui, à deux reprises, a produit un manuel de savoir-faire vivre sur les réseaux sociaux, expliquant aux militaires quels risques ils prenaient sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, l'expression publique de certains personnels par l'usage de ce réseau interroge aussi parfois le devoir de réserve.
Mais surtout, cet affichage des cadres de la défense sur internet, consultable donc partout par qui possède une connexion, fournit un vivier sans fond pour ceux qui ciblent la défense : les vrais espions (cf le cas de tamponnage de l'officier de l'OTAN cet été), les vrais terroristes qui cherchent des militaires à tuer, etc.
Comme c'est souvent le cas, ces revendications de floutage du visage ou du nom est à géométrie variable. Une société de production en tournage au Sahel (et cela va de soi, autorisée à le faire par l'EMA) s'est vue la semaine dernière interdire de tourner sur les personnels d'une unité sans floutage systématique. Evidemment, cette bronca de la flouteuse a vite fait réagir à Paris, mais n'a pas généré un ordre formel non plus.
Alors que les média ne sont déjà pas lourdement investis dans la couverture de Barkhane, l'anecdote risque de projeter encore de nouvelles réserves d'y aller, alors que par ailleurs, les réalités couvrables hors des FOB ne sont déjà pas très nombreuses (elles le sont dans l'absolu, mais il n'est pas possible de les voir). Par ailleurs, c'est aussi le signe que le commandement, à Paris, reste partagé sur ce sujet. Imposer un média, c'est imposer un regard extérieur, à priori non contrôlé (ce qui ne veut pas dire incontrôlé) et dont le résultat n'est pas, par construction, connu à l'avance.
Or certaines précédentes couvertures de média ont déplu à Barkhane. L'EMA et un média ne se sont pas compris sur les restrictions posées par le premier qui pensait acceptées formellement par l'autre. Et depuis, une forme d'incertitude perdure à chaque reportage. Appelons cela le brouillard des media.
Difficile aussi, dans le contexte de l'article 24, d'imposer des conventions de reportages. La simple évocation par le minint d'obliger les journalistes à s'accréditer pour une manifestation parisienne a généré une grosse bronca : en développer au minarm pour mieux "tenir" les reportages et ceux qui les font ne serait pas très bienvenu.
(1) les familles de deux morts en service, dont un en opération extérieure, ont demandé à l'armée de terre et à l'EMA de ne pas diffuser leurs noms et photos. Jusqu'à maintenant, seuls les noms et photos de personnels de la DGSE n'avaient pas été diffusées proactivement.
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