Une partie des familles des victimes du Bataclan s'interroge toujours sur l'action du dispositif
Sentinelle (un questionnement légitime et compréhensible), et dépose un recours en justice, tandis qu'au ministère de la Défense, on n'a pas le sentiment d'avoir manqué à ses obligations, ce 13 novembre.
Même si ce seront -peut-être- des évidences pour les lecteurs les plus informés de ce blog, il n'est pas inutile d'apporter quelques précisions très factuelles, certaines ont déjà, à l'époque et très tôt, été écrites sur ce même blog :
1) les personnels de Sentinelle hors service ont été réinjectés dans le dispositif opérationnel ce soir-là, une capacité qui n'existe pas sous cette forme à l'Intérieur. C'est sans doute une des forces de Sentinelle, dont les personnels sont en opération, donc mobilisables à tout moment. D'autres, hors service, ont participé à la remontée du renseignement -un des problèmes ce soir-là, comme en janvier 2015- et à la distribution des consignes. Il n'y a donc pas eu de passivité par rapport à l'évènement, et même sur certains points, une prise d'initiative. Mais les militaires n'ont pas dépassé le cadre général défini pour Sentinelle, qui vise essentiellement l'appui des forces de police, pas la primo-intervention sur une situation de haute intensité.
2) un personnel de Sentinelle n'est pas formé à la libération d'otages, seuls le sont, au ministère de la défense, les personnels des forces spéciales (COS). En outre, les personnels de Sentinelle qui étaient au plus près du Bataclan sont issus d'un régiment de cavalerie, le 1er Chasseurs, donc leur spécialité de base ne les amène pas régulièrement au combat débarqué et au milieu clos pour lequel ils ne sont ni vraiment formés ni équipés. C'est aussi le cas pour une bonne partie des effectifs de Sentinelle, qui ne sont pas issus de l'infanterie.
Mais cet argument de la non-spécialité ne peut être invoqué pour le maintien des militaires (sur ordre) hors de la salle de spectacles, car la brigade anti-criminalité de nuit (BAC75N) de Paris n'est pas non plus formée à la libération d'otages (même si elle est référencée dans les appuis de la BRI), pourtant, un de ses commissaires est entré dans le Bataclan avec un de ses hommes, ce soir-là, touchant un des porteurs de Kalach et de gilet explosif (on peut de la même manière rappeler les tirs des gendarmes de Dammartin, là aussi des primo-intervenants, qui forcèrent les Kouachi à se retrancher en janvier 2015). D'autres personnels de la BAC75N, qui ne sont pas non plus formés au CTLO, sont également entrés dans la salle. Ces personnels ne sont pas spécialisés, mais ils tirent très régulièrement avec leur arme de service, en stand de tir (parfois plusieurs fois par semaine), et parfois, lorsqu'ils essuient le feu en intervention.
Il y a donc eu, ce soir-là, deux approches de l'emploi de forces non spécialisées, à l'Intérieur et à la Défense. A la Défense, on n'entre pas dans la fameuse bouteille d'encre, à l'Intérieur, on rentre.
3) la réalité matérielle est aussi très cruelle pur l'Intérieur. Si chaque policier avait été correctement équipé, ce soir-là, personne ne se poserait aujourd'hui la question de l'action des militaires (en fait de leurs Famas) de Sentinelle. Or le dénuement était plutôt la règle (pourtant neuf mois après Charlie Hebdo et l'Hyper Casher), d'où le besoin de faire appel aux Famas des militaires (on peut discuter de l'intérêt du 5,56 mm en milieu clos). Seulement la moitié des personnels de la BAC75N disposaient de casques et gilets lourds, l'armement collectif était limité à des pistolets mitraillleurs PM12 en 9 mm et des fusils calibre 12. Pas forcément le meilleur pour dialoguer avec des terroristes. La BRI, qui est arrivée après cette unité sur les lieux, ne disposait pas non plus à cette époque d'une arme longue par opérateur, ce qui n'a été généralisé qu'après le Bataclan (avec des G36 dans un premier temps). Les HK416 ne sont arrivés qu'en juillet 2016 (mais pour l'heure, la BRI est la seule unité de police à en détenir). Assez curieusement, ces questions de matériel et d'effectif, essentielles, n'ont pas été vraiment étudiées par la commission d'enquête.
4) dans une situation identique, il n'est pas sûr que l'emploi des militaires serait différent aujourd'hui. Personne ne se précipite, à la Défense, pour répondre à cette question, en tout cas. Même si le ministre a ouvert la porte plus clairement à l'emploi de forces spéciales sur le territoire national, aucun texte ne semble avoir été clairement écrit et diffusé sur ce sujet. L'Intérieur, lui, a massivement acquis du matériel : après le Bataclan. Le contrat des G36 a par exemple été notifié dans les derniers jours de décembre 2015. Onze mois après l'Hyper Casher.
5) toutes les opérations contre les terroristes ne sont pas résolues avec des milliers de coups tirés, et un défouraillage de type cinématographique. Il faut rappeler que ce soir-là, guère plus d'une dizaine de coups de feu ont été tirés dans le Bataclan, par la BAC75N (tirs de SIG 20/22), le RAID (un tir de HK417) et la BRI (tirs de Glock et G36), neutralisant les trois terroristes présents. Après l'arrivée de ces forces dans la salle, les terroristes n'ont plus été en mesure de tirer directement sur leurs otages.
Plus d'infos et de photos sur mon twitter @defense 137.
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