Après qu’on se soit rendu que Balard (1) n’était ni un aviateur de haut vol, un sous-marinier illustre,
ou un marsouin reconnu, le ministère de la défense a décidé de débaptiser le Balardgone. Je ne comprends pas cette décision tardive, alors que les premiers occupants ont déjà passé plusieurs jours à errer sur place, à chercher leur bureau et le courant électrique qui va avec.
Donc, la découverte effectuée il y a déjà plusieurs mois par une conseillère technique cultivée, elle-même chimiste de formation, a réchauffé les braises : impossible de donner un tel nom à un site aussi prestigieux.
Une comission ad hoc, présidée par un capitaine, a donc réuni des experts des sigles, venus majoritairement de la DGA, pour trouver un nom digne. Certains ont pensé l’appeler « Les bains », car la piscine est déjà prise, on le sait, par une célèbre centrale. Et ceux qui ne le savent pas ne pourront pas l’ignorer : l’ex-Balardgone a été construit sur l’ancien bassin d’essais des carènes, qui a vu plusieurs navires en réduction tester leur tenue à l’eau.
En plus Hervé Morin avait promis une piscine à l’époque.
Afin de se prémunir psychologiquement contre la crue centennale qui menace le site, un METOC de la marine, invité au jury, a proposé « l’Insubmersible », mais ses camarades de tablée l’ont retoqué, estimant que cela mettait trop en avant la marine. Qui déjà, aurait trusté un des plus beaux bureaux, pour loger le chef d’état-major de son armée.
Plusieurs noms de bataille ont alors été évoqués. L’armée de terre a même proposé plusieurs Leclerc pour accueillir le visiteur à l’entrée, et renforcer le glacis anti-voitures bélier kamikazes. Plusieurs batteries de Mistral, qui n’ont toujours pas servi en vrai contre un aéronef (2), étaient d’ailleurs également disponibles pour agrémenter la salle à manger en plein, air, dressée sur les hauts. Des fois que des drones chercheraient à entrer par les fenêtres laissées ouvertes le soir…
Au final, la commission s’est finalement accordée sur un nom générique : la Citadelle. Un poète à ses heures a trouvé que cela rimait, en plus, avec Sentinelle, l’opération déclenchée en janvier, et qui n'en arrête pas de durer.
Mais ce nom n’a pas passé les fourches caudines des hautes sphères, qui aiment, comme chacun sait, les choses carrées. Toute citadelle peut tomber, a rappelé un conseiller. « Pas vendeur du tout comme nom », a abondé l’homme de la com’.
De nouvelles délibérations seront sans doute nécessaires : on évoque, dans les milieux non autorisés, une autre commission ad hoc, mais le temps presse : le patron vient inaugurer les murs vers la mi-octobre.
(1) Antoine-Jérôme Balard était chimiste.
(2) Les seuls vrais tirés en opérations l’ont été contre des véhicules, au sol, en 2011.