On n'a toujours que de détails très fragmentaires sur l'attaque d'hier à Nijrab. Depuis 2001 que je suis l'engagement français en Afghanistan, un tel niveau de discrétion relève tout simplement du jamais vu. Seules les biographiques des quatre morts français éclairent un peu le type de mission menée hier. Il semble difficile de la résumer à une mission humanitaire de lancement de micro-projets comme on a pu l'entendre hier. Certes, c'est bien le métier d'un chef de cellule CIMIC, une spécialité par nature très difficile, et très exposée. Il faut rencontrer les chefs de village, maleks et elders, et enregistrer des doléances en sachant que l'enveloppe ne réussira pas forcément à les mener tous à bien. Déjà, la France a pu creuser des puits (en Shamali, en 2005), aider l'agriculture en Kapisa, électrifier un marché en Kapisa. Les exemples aboutis regorgent, mais comme on a déjà pu me le confier, les insuccès aussi. Souvent, le commandement n'accepte ces projets à reculons que parce qu'il lui permettent de mieux se faire accepter par la population. Il faut donc saupoudrer le long d'une route pour en assurer, plus ou moins la sécurité toute relative. C'est le cas pour la MSR, essentielle pour le retrait.
On comprend bien qu'avec la perspective du retrait, la sécurité de l'itinéraire entre Tagab et Nijrab est la plus problématique. Les CIMIC ont donc un rôle central à jouer, mais il est un peu tard à six mois du retrait français pour lancer des projets. Même les riverains, eux, ont désormais compris que la source de CIMIC est en train de prendre le large. Tout comme les revenus représentés par l'approvisionnement des FOB, et les menus travaux que les locaux pouvaient y mener. Les commerçants des bazars attenants aux FOB vont aussi devoir se trouver d'autres clients.
Venir avec quelques projets ne suffit plus pour convaincre, il faut aussi expliquer aux locaux que le monde restera malgré tout merveilleux sans nous. C'est le travail, pas non plus facile, que doivent mener les opérations d'influence, dont la déclinaison tactique, l'ETOMI, était engagée avec l'équipe CIMIC, à Nijrab.
Longtemps un gros mot dans l'armée française après l'Algérie, les opérations psychologiques sont devenues des "opérations d'influence". Le COS, longtemps le plus actif, a été dépassé par le commandement de la force terrestre (CFT) qui a créé sa propre structure. Il aligne donc le plus d'effectifs, mais le COS reste largement actif dans ce domaine, y compris sur ce théâtre.
Aux OI l'identification des bons relais et canaux d'opinion pour diffuser la bonne parole et retourner l'opinion. Cela a bien marché dans les Balkans, parfois en Afrique (grâce à la langue), c'est plus compliqué (du fait de la différence culturelle) en Afghanistan, mais la France a atteint de bons résultats grâce à la mise en place de radios, le mass media en Afghanistan. Certains imaginaient même d'utiliser la téléphonie portable, en expansion dans la zone TFLF, pour diffuser aussi les bonnes nouvelles. Un avant-gardisme qui n'a pas tout à fait été du goût de la hiérarchie locale semble-t-il.
La composition de l'ETOMI, qui sort de l'ombre pour la première fois permet de voir le type de capteurs utilisés : un spécialiste du renseignement particulièrement aguerri (ancien du 2e RH) et des opérateurs de BRB, sans doute de la filière conversationnelle.
Pour choquantes qu'elles sembleront à certains qui les découvrent, les OI et les CIMIC ont sans doute pu contribuer à préserver des vies, et à enclencher une forme de développement (1) dans notre zone d'influence. Néanmoins, sous-budgétisées, elles n'auront pas réussi à atteindre tous ses objectifs. De bonnes idées sont aussi arrivées trop tard, comme les Female engagement Team (FET), mises en places par les marines américains pour convaincre les 51% de la population afghane, les femmes, moins têtues que les hommes. Au moins une réunion de femmes afghanes s'est bien tenue en 2011 à Nijrab, et une à Tora, mais c'était trop tard : après la réduction opérationnelle décidée après Joybar, l'embryon de FET semble avoir été abandonné.
(1) la députée du Nord François Hostalier effectue une conférence au cercle Stratégia, ce 13 juin, à Paris, sur la politique d'aide au développement en Afghanistan.