vendredi 5 juin 2009

Léon, il y a 65 ans...

Le 6 juin de Léon Gautier, en 1944 (1).

"Lorsque l'on nous a regroupés dans le camp de Bixhill, on nous montré des plans avec des noms de code. Les Havrais qui étaient parmi nous n'ont eu aucun mal à reconnaître l'Orne et le Canal de Caen. Nos officiers nous ont demandé de ne pas communiquer cette information à nos camarades britanniques. De toute façon, nous étions parqués dans un camp dont il ne faillait sortir sous aucun prétexte car les sentinelles avaient ordre de tirer à vue.

Au début, on devait débarquer le 5, mais cela a été annulé du fait d'une très grosse tempête, et reporté de 24 heures. Dès le 4 juin, nous avons eu une réunion, un briefing comme on disait à l'époque, avec Lord Lovat, qui commandait tous les commandos, réunis au sein de la 1ère brigade spéciale. Il a terminé son discours en français : 'demain, vous les Français, les boches on les aura !"

L'après-midi du 5, on a quitté ce camp pour embarquer sur les barges, à Warsach. On a laissé toutes nos affaires personnelles dans un sac qui devait, nous disait-on, partir pour l'amirauté. On devait le retrouver après les combats : moi, il a été égaré, et j'ai perdu toutes mes photos personnelles.

J'ai embarqué sur la barge n°523, et on a appareillé en fin d'après-midi, vers 17h, 17h30. Puis on a rejoint l'armada au sud de l'lle de Wight : le couloir qui en partait s'appelait Picadilly Circus (NDLR, en comparaison avec la célèbre artère éponyme, à Londres).

Quand on voit cette armada, on se dit que l'on ne peut pas perdre. Jusqu'alors, il n'y avait pas eu trop de remous. A 22h30, on est entrés dans la Manche à proprement parler. La mer n'était pas calmée depuis la tempête de la veille. J'ai réussi à dormir un peu, mon havresac, toujours sur mon dos, me servant en quelque sorte d'oreiller.

Vers 5h30, nous sommes arrivés en vue des côtes françaises. Le jour venait de se lever. On a vérifié nos armes, nos grenades, après être montés sur le pont supérieur.

Puis l'artillerie allemande a commencé à tirer, autour de ma barge. Elle n'a pas eu de dégâts. Puis on débarque. On voit des soldats alliés la face complètement noire. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'était pas du noir de fumée, mais des projections de vase consécutives au tir des canons.

Si on appréhendait tous un peu avant de débarquer, une fois que l'on est sur la plage, on oublie tout. L'entraînement, très difficile, les réflexes, la nécessité de la mission prennent le pas sur tout le reste. D'autant qu'on était habitués à l'entraînement à entendre de vraies balles siffler autour de nous. Il n'y aurait pas eu autant d'explosion d'obus, on se serait vraiment cru sur un de nos exercices.

On est contents, quand même, de fouler à nouveau le sol de France, que j'avais quitté, moi, en 1940.

La barge 527 a été touché par un obus, sans doute de 50 ou de 75 mm.

La troop 8 dont j'étais a débarqué précisément à Colleville-Montgomery, puis a progressé vers l'ouest, vers Ouistreham, pour prendre les allemands à revers, et ne pas subir le feu frontal des armes automatiques et des canons. On a d'abord laissé nos havresacs dans une colonie de vacances, puis on a progressé par les dunes jusqu'au centre de la ville.

Là, on a retrouvé la section des "K Gun", et ils nous ont aidé à réduire un blockhaus. Ils étaient allés trop loin, et n'avaient pas obliqué sur la gauche. Heureusement, car sinon, ils seraient tombés sur un point d'appui allemand. Mais cela, on ne l'a su que bien plus tard : il y a 15 ans en ce qui me concerne. Grâce, notamment, aux rapports établis par Hulot, Sareins et Bagot. Ce dernier l’avait pourtant écrit son rapport le 7 juin 1944, le lendemain des faits. Pour l'anecdote, c'était écrit sur... du papier allemand.

J'avais une Tommy Gun, avec chargeurs de 30 cartouches. Le premier a été vidé en une trentaine de secondes.

Chaque équipement, havresac, armes, etc, pesait entre 30 et 40 kg. Tout dépendait des armes qu'on avait. Ce n'était pas simple forcément, quand on a débarqué, d'être très mobiles avec tout ça sur nous. Il y avait une petite dune à monter.

La mère était assez retirée, car il fallait profiter de la marée basse pour ne pas percuter les obstacles posés par les allemands, et évidemment, d'éventuelles mines.

Ensuite, on a progressé dans les terres. On est arrivés au niveau de Pegasus Bridge où on se battait toujours : les allemands étaient toujours à côté du château de Bénouville, à 500 mètres du pont. On a eu quatre blessés, soignés dans le café Gendrée. Derrien, un Breton du Havre, en faisait partie. Il est venu ensuite tous les 6 juin remercier la famille de l'avoir soigné dans leur café. Roussel et Morel étaient aussi parmi les blessés.

J'ai trouvé la journée du 6 très longue, pas forcément très dure par rapport à ce à quoi on s'attendait, mais vraiment très longue. On a débarqués à 7h20 le matin, et on creusait encore des tranchées à 19 heures. Ensuite, j'ai pu dormir un peu. Mais j'étais de garde, sur le coup de minuit, au bout d'un champ. C'est fou le nombre de choses qu'on entend quand on est à l'écoute du moindre bruit. Des rongeurs, des insectes, même des vaches. Mais pas le moindre allemand, ce soir-là en tout cas. Cette heure-là, en tout cas, je l'ai trouvé interminable.

(1) récit recueilli en 2004 à Spean Bridge et Achnaccary (Ecosse), et Ouistreham (Calvados, France).

Notre photo : Léon Gautier, ce 5 juin 2009, à Saint Aubin d'Arquigny, avec les vétérans du 3 Commando. (crédit JMT)