lundi 4 mars 2013

Billet : otages, opinion, médias

OTAGES
Peut-on avoir supprimé deux des principaux chefs terroristes au Sahel sans avoir touché un cheveu des otages ? Dans un monde sans moyens de communication efficaces, ces chefs pouvaient-ils se déplacer sans le principal atout qu'ils avaient dans leur manche ? Pour l'instant, bien des éléments de ces questions restent sans réponse
, même si le CEMA vient de reconnaître, ce matin, que la mort d'Abu Zeid est "probable". La parole du CEMA est particulièrement rare dans Serval (1), et pourtant, c'est lui qui a été choisi pour annoncer ce qui sera sans doute autant une bonne qu'une mauvaise nouvelle. Car si les otages ne sont pas déjà morts, la possibilité qu'ils survivent à cette nouvelle est faible. Même si les forces françaises disposent de ressources pour les sauver.
Mais il est évident que demander maintenant aux familles des fragments ADN (2) ne revient pas à croire à des chances très élevées. De là à voir posée une autre question qui pourrait fâcher : pourquoi ne pas avoir tenté une libération plus tôt ? Ah, pourvu que personne ne parle...
OPINION
Quoiqu'on pense de la façon dont ils sont conçus, les sondages sont un indicateur pour les responsables politiques. Un gadin de 13 points en un peu moins de trois semaines, c'est un revers important : de 73% le 7 février, le soutien à Serval est tombé à 60% (cf colonne de droite pour l'évolution des soutiens). Chacun verra midi à sa porte : on mettra cela sur le compte de la crise économique, la lassitude, une évolution classique dans toutes les opérations, etc, mais non, jamais une opération de l'armée française n'a perdu 13 points de soutien en trois semaines. Une telle dégringolade, qui peut d'ailleurs se poursuivre, avec les combats durs de l'Adrar, ou l'annonce de la mort d'otages, obligera à une réaction rapide. Les scénarios de la reconquête de l'opinion sont sans doute en cours d'écriture, avec une présence renforcée sur les antennes des médias, ou... un déplacement sur place.
MEDIAS
Mais dans les médias, le scepticisme règne, la franche opposition gagne du terrain. Passée la frustration de ne pas pouvoir tourner le planter de drapeau français à Gao ou Tombouctou (3), façon Iwo Jima, les envoyés spéciaux multiplient les témoignages d'entrave au Mali. Certains, comme Jean-Paul Mari, ou un confrère de Libé, l'ont même écrit. La prochaine étape, c'est de réunir tout le monde sur un plateau, ou d'interpeler les ministres -oui, les- sur cette guerre sans images tournées par médias. Sans témoins, ou presque.
L'état-major a ses arguments déjà prêts -ils sont en partie fondés-, il les a livrés en réponse à mes questions, jeudi, au point presse hebdomadaire. Le débarquement médiatique était trop important pour être absorbé par des embeds naturellement en nombre réduit (4). Et, un rappel, évident : la communication opérationnelle est au service des opérations. Le porte-parole de l'EMA a rappelé sa crainte permanente -et sincère- de voir dévoilées des informations qui conduisent à la mort de soldats français.
Le même EMA n'a d'ailleurs pas totalement fermé le robinet des embeds, même actuellement. France 2 a eu une très grande liberté de tournage (5), et on a même envisagé de larguer deux journalistes avec le 2e REP, au-dessus de Tombouctou. Finalement, il n'en a rien été, l'armée elle-même n'a aucune trace photographique ou vidéo de ce largage historique. La frustration est partout, y compris, donc, même chez les militaires.

(1) le CEMA est apparu le 12 janvier dans un point presse, puis très furtivement, dans un exercice de storytelling mené par France 2.
(2) étant donné la nature de ce dossier, on aurait pu penser que cela avait déjà été fait depuis longtemps.
(3) c'est aussi le propre des médias de vouloir tourner des images qui n'existent pas !
(4) 10 journalistes auraient été embeddés dans la colonne remontant de Bamako vers Tombouctou par exemple.
(5) même si certains évoquent la priorité qui a longtemps, par le passé, été donnée à TF1 -qui était aussi la plus grande audience-, je crois qu'on n'a jamais autant avantagé un média audiovisuel, dans ce type de situations.