dimanche 7 février 2010

Les cavaliers fantômes dans les yeux

"Mike Durant, nous ne t'oublierons pas !". C'est ce que crachaient en 1993 les hauts-parleurs des Black Hawks du 160th SOAR (special operations aviation regiment) au-dessus de Mogadiscio, après que l'unité ait perdu deux de ses MH-60, et qu'un des ses pilotes ait été capturé dans un pot de pus raconté (sous-raconté disent certains) dans un film d'anthologie, Black Hawk Down. Le même Durant avait co-écrit avec Steven Hartov en 2006 Night Stalkers : cet ouvrage est désormais disponible, depuis quelques jours, en français, chez Altipresse sous le titre de Pilotes en missions secrètes.
C'est un ouvrage rare, qui raconte de l'intérieur la genèse de l'unité, montée de toutes pièces au sein de la 101e division aéroportée, après l'échec d' "Eagle Claw" (libération des otages américains en Iran). Sans rien nier des limites du matériel, du mépris convenu parfois affiché par les conventionnels, ou des bourdes du commandement. Durant raconte par exemple comment les Night Stalkers ont payé le prix du sang -21 morts en deux ans à leurs débuts-, comment un des leurs a survécu miraculeusement à une collision avec une ligne électrique. Comment le régiment a inhumé deux des siens, au large du Panama.
L'ancien pilote détaille leur première opération, à La Grenade, sans blindages, sans les bonnes bandes de munitions pour leurs M-60 de sabord. Et, pour tout arranger, en plein jour, car les Marines l'avaient décrété ainsi. Au retour, les Black Hawk ressembleront à des meules de gruyère volant, et c'est sans doute cet incroyable image qui encrera à tout jamais l'existence du SOAR. Une histoire qui rappelle, sous certains aspects, ce que sera le semi-échec de Mogadiscio, 10 ans plus tard.
Cet ouvrage remarquable livre aussi d'incroyables détails sur l'opération qui mena à la capture de l' "Ananas", le narco-dictateur Manuel Noriega.
Au fil des pages, on assimile ainsi une partie du mode de fonctionnement de cette unité d'élite, y compris sur ses aspects les plus logistiques : comment recharger un MH-6 loin de tout, dans la capitale panaméenne, ou changer une minigun défaillante. Durant en profite pour mettre aussi en avant les hommes de l'ombre de l'ombre, qu'on oublie souvent dans les récits : les mécaniciens, les medics, et n'oublie de régler ses comptes avec les "journaleux".
Cet livre est aussi une découverte de la première génération de Night Stalkers, issus pour partie des cavaliers volants du Vietnam. La plupart de leurs officiers ont ensuite effectué de belles carrières au sein de l'USSOCOM, l'équivalent de notre COS : récompense du fait que le SOAR aura été, comme notre 4e RHFS, dont l'embryon fut créé en 1993, avec une escadrille des opérations spéciales, de toutes les opérations extérieures (1).
Un récit authentique et incontournable à lire sous lampe frontale, ou jumelles de vision nocturne, selon votre équipement, pour mieux appréhender la réalité des opérations spéciales aéroportées.
Pilotes en missions secrètes, 368 pages, 22 euros.

(1) Un internaute avisé me signale avec raison que notre 4e RHFS (le DAOS à l'époque) ne fut pas de toutes les opex, puisqu'en 2004 par exemple, c'est l'ESH de l'armée de l'Air qui assura l'alerte sur l'opération Carbet.